Quand on lit la version complète, non tronquée de Guerre et Paix, c'est-à-dire la version recommandée, on met du temps. Oui lire la version d’un seul ouvrage d’environ 1000 page revient à ne pas lire l’œuvre entière, Guerre et Paix fait environ 2000 pages et la version complète s'étale sur deux ouvrages. Je suis un lecteur lent pour tous les livres et celui-ci a duré presque 6 mois, de Juin à fin Octobre. C’est tout particulièrement cette longueur qui m’a plu, elle peut être chez d’autre une raison d’agacement, mais pour moi elle est indispensable à la motivation du livre. Tout d’abord la longueur fait naître chez le lecteur un sentiment de nostalgie. On vit avec les personnages, on observe leur vie sur plusieurs années et à travers deux campagnes militaires qui balaient leur paysage et leur personne. C’est une fresque ambitieuse qui réussit à nous plonger dans ce microcosme qu’est l’aristocratie russe du début du 19ème siècle.
Ensuite cette longueur se veut être le socle de la théorie de Tolstoï concernant le discours des historiens. Il l’explique assez sur des centaines de pages (qui ne sont alors plus du tout du roman) pour que le lecteur puisse l’intégrer. Il veut démontrer que l’histoire ne peut pas se construire seulement sur les grands événements, sur le génie d’une poignée d’homme ou sur leur décision. L’histoire doit être approfondie, l’historien doit creuser plus profondément, doit s’imaginer que l’homme n’est pas une force scientifique comme le magnétisme ou l’attraction terrestre, qu’il n’obéit à aucune loi historique. Alors Tolstoi pour intervenir dans le discours des historiens, se fait historien et utilise le roman comme une loupe exceptionnelle capable de décrire les événements en détail, et c’est seulement dans cette dimension restreinte que l’on comprend que l’Histoire est mue par des actions insoupçonnées, non par des génies mais par des peuples, par des hasards, des coups de chance ou des coups du sort. L’épaisseur du livre est donc ici un outil qui cherche à prouver l’efficacité de la théorie de Tolstoï qui s’amuse à démonter tous les historiens de son époque.
Guerre et Paix ne se lit probablement qu’une fois (chez les gens normaux), se lit par défi et se finit avec fierté et surtout avec une pointe de mélancolie car le lecteur doit abandonner les personnages qu'il a tant suivi et les laisser vivre leur vie.