" Les gens sont emmurés dans l'Histoire et l'Histoire est emmurée en eux. "
James Baldwin
Le prologue est une entrée en matière radicale qui dessille la pensée, un acte mémoriel sans appel qui relate avec la rage qui sied au propos par quels moyens abjects la plus puissante nation (à l'heure actuelle) du monde s'est construite sur le génocide des peuples natifs, et ce dès le début du 17ème siècle, puis sur l'esclavage des noirs.
L'auteur, amérindien, se concentre sur le présent de son peuple ; son roman choral exprime avec force combien la blessure est toujours lancinante. Le malheur, comme un fatum, plane sur l'existence de la plupart des personnages, dont l'histoire est habilement tissée dans une construction qui fait des allers-retours entre des différentes temporalités afin de mieux expliquer les enjeux du présent.
Ces vies reflètent toutes, exceptées celles des personnages d'enfants, des formes sociales de déchéance : le roman est une plongée stoïque dans le néant de l'addiction et de la dépravation : vies cabossées, honte de soi et de son origine, marginalité, alcoolisme , obésité, violence conjugale, suicide... Le tableau est noir et sans appel. Néanmoins, la persistance des croyances d'autrefois est belle et bien là, mais la perte de transmissions qui s'effiloche avec le temps est comme un poison insidieux qui laisse certains personnages orphelins de leur origine, totalement déboussolés. Exténués d'avoir tant lutté pour obtenir "d'être reconnus comme un peuple au présent, moderne et convenable, vivant ", les personnages sont piégés par la violence, seule issue face à un monde qui ne cesse de vouloir les effacer. Elle va contaminer un grand rassemblement festif indien, un pow wow, dans un terrible acte d'auto-destruction, qui voit l'écriture se resserrer pour mieux exprimer l'arrivée fatale d'un massacre annoncé, perpétré par des membres de la communauté. C'est l'acmé d'un roman poignant, dont chaque histoire bouleverse et révolte.