Alan Moore est un auteur et scénariste de génie dont j’ai toujours admiré le travail dans les comics. C’est donc avec impatience et curiosité que je me suis lancée dans son roman, un véritable pavé, empli d’ambitions. Il serait d’ailleurs périlleux d’essayer de résumer ce livre-monde. Jérusalem est un roman labyrinthique et polyphonique qui embarque son lecteur dans les profondeurs de Northampton et de ses univers parallèles.
Une Pléiade de personnages :
L’ouvrage est découpé en trois grandes parties. Dans la première, chaque chapitre est associé à un personnage différent qui arpente les boroughs, un quartier de Northampton qui est au cœur du roman. Les époques et les destinées se croisent en un puzzle que le lecteur essaie péniblement de reconstituer. A l’issue de cette première partie, nous avons l’idée qu’une famille, Les Vernall, va jouer un rôle crucial puisque toute leur descendance a à voir avec le mystique, l’incongru ou la folie. Le côté sorcier et les thèmes chers à Alan Moore sont introduits dès le début. L’étrange se mêle au trivial et au quotidien. On découvre un homme qui pisse dans un pot de chambre et qui quelques pages après discute avec la peinture d’un ange qui s’anime dans une église. De même que l’on s’aperçoit que certains personnages déambulent dans la ville mais ne font plus partie du monde des vivants. Les Boroughs semblent définitivement être le cœur , l’aimant d’où va surgir le surnaturel. Ce réalisme magique m’a beaucoup plu. J’ai aussi éprouvé un certain plaisir à reconnaitre des personnages juste croisés dans un chapitre ou à prévoir certains évènements par rapport à des petits détails. Néanmoins, la lecture de cette première partie reste ardue et malheureusement parfois ennuyeuse. L’idée de présenter différents hommes représentatifs de la diversité du quartier est intéressante mais l’exercice s’étire trop en longueur à mon goût. D’autant que certains protagonistes ne seront pratiquement pas exploités par la suite.
Voyage de l’autre côté :
Le surnaturel et l’ésotérisme vont prendre toute la place dans la deuxième partie, qui est celle qui m’a le plus plu et que j’ai dévoré. Alan Moore y développe son concept de l’au-delà de manière originale, sophistiquée et très complète. Nous découvrons « Mansoul, le monde d’en haut », à travers les yeux d’une petit garçon qui vit une expérience de mort imminente. Avant de revenir parmi les vivants, il va nous faire découvrir ce qui se passe lorsqu’on sort de la dimension proprement humaine. J’ai retrouvé alors les idées géniales, brillantes et enthousiasmantes de l’auteur. Tout est pensé pour rester cohérent, ce qui rend la création de cet univers passionnant. Le fait que les protagonistes principaux soient des enfants m’a aussi beaucoup plu car on s’attache facilement à eux, ce qui rajoute le supplément d’âme qu’il manquait à la première partie où les destins se croisaient sans qu’on s’attache vraiment à qui que ce soit.
Alan Moore propose donc un monde où le temps et l’espace fonctionnent de concert. Les humains ne seraient pas capables de regarder le monde sous tous les plans de la réalité, alors qu’une fois dans le monde des morts et des esprits, tout se passe entre guillemet en même temps. Il suffit de creuser dans le paysage pour passer d’une époque à une autre. Il y a donc des liens permanents entre le monde des morts et celui des vivants. Dans ces enfers redessinés on rencontre donc des enfantômes, des démons malicieux, des prêtres, des bâtisseurs hautains, un mammouth apprivoisé, des âmes perturbées, des accoucheuses… Tout ce peuple donne à l’univers de multiples possibilités. Au-delà du mysticisme et de la création imaginaire, l’intrigue de cette partie a su emporter mon âme de lectrice curieuse dans un mélange de suspense et d’émotions.
J’ai aussi particulièrement apprécié le travail sur le langage mis en place par l’auteur (l’ensemble est d’ailleurs remarquablement bien traduit). Les anges parlent une langue presque incompréhensible qui se recompose dans l’esprit des personnages. A force de lire, on arrive presque à comprendre le gros de ce qu’il disent. De même, lorsqu’on se trouve dans Mansoul, la langue se modifie et il faut un temps d’adaptation pour s’exprimer correctement : tous ces jeux sont très bien rendus dans les dialogues.
Une conclusion exigeante :
Enfin, le dernière partie, se concentre sur un évènement terrible qui est exploré sous tous ses aspects. Malheureusement pour moi, ces derniers chapitres ont été une déception. Il y a de nombreux passages incompréhensibles : notamment un chapitre entier avec des mots mal orthographiés et découpés, illisible donc. C’est assez frustrant car c’est le moment où l’on attend que le voile se lève sur tous les mystères et on aura finalement peu de réponses à nos questions.
Messe quel haime le pluis dansa rêvidense accruelle c'est sa façhonte
d'épraver les césons, qui ne sondent jumais paroeil d'un jouir à
l'hôte. Leurs carats très christiques sombrent moins inflexionables
que d'hautres lyeux parlé quel ailée trépassée haut cours des arnées.
Ici, el peur vagabroder antre son plassé et son futureux; saurter d'un
mombre à l'hôte; de charyde en sallabe. Ici à l'infirmarais
cyclologique de Satan Douze, ille toutafée passible, ahan cloire
Lhuissie, de transifier du mondre terrêtre à un terribloire margique,
un lieu mythorlogique, où la méandre métaforce liesse une trance
immidiote et externelle.
Malgré mes réticences, il faut reconnaitre à cette dernière partie le génie littéraire. Alan Moore y explore de nombreux genres avec brio : théâtre, enquête, épistolaire, flot de conscience, polyphonie… L’ultime chapitre reprend d’ailleurs tous ceux de la première partie par l’intermédiaire de la description de différentes œuvres d’art. Le procédé est très intéressant mais je n’ai pas pu tout saisir car ma lecture du début commençait à être lointaine. On y comprend tout de même la dimension sacrée de ce quartier miséreux qui en apparence ne paie pas de mine. Car il ne faut pas oublier qu’en plus d’un récit mystique et d’un hommage à sa ville, Alan Moore opère également une dénonciation sociale. L’enquête proposée tourne en effet autour d’un fait-divers, une agression sordide, dont on comprend petit à petit l’ampleur. Dommage que ce propos soit un peu noyé par la difficulté de la lecture.
En résumé, Jérusalem est une œuvre monstre. C’est un récit passionnant et ambitieux qui aborde une multitude de sujets et que se donne différentes missions. Malheureusement, il n’est pas destiné à tous et la lecture n’en est pas aisée. Certains diront que le style est parfois redondant et prétentieux. Il faut s’accrocher pour suivre ce merveilleux génie. Je n'ai pas tenu tout le périple avec lui mais les petites escales magiques ont suffi à mon admiration et mon plaisir.
Je vous laisse avec la promesse de l’auteur lui-même :
Je pense que Jérusalem est une très bonne affaire. C’est le seul roman
que je connaisse qui promet de manière catégorique l’immortalité à ses
lecteurs. Il me semble que c’est assez généreux et j’espère qu’ils
l’apprécieront.
Critique à retrouver sur le site du mouton curieux