Il y a indéniablement chez Mathias Malzieu, le leader emblématique du groupe Dionysos et prolifique auteur de fables poétiques, une touche de Boris Vian.
Dans sa relation fusionnelle entre musique et composition. Dans la créativité de son écriture, pleine de fulgurances et de mots-valises, véritable feu d'artifice langagier qui réjouira tous les amateurs de poésie et d'acrobaties verbales. Dans cette capacité d'émerveillement, cette propension si rare à habiter poétiquement le monde, qui étaient aussi celles de l'auteur de L’Écume des jours.
Et il lui en aura fallu, à Mathias, des trésors d'optimisme et de courage pour mener cette guerre contre un mal terrible, qui répond au nom barbare d'aplasie médullaire (soit : la raréfaction inexplicable de la moelle osseuse) et qui requiert, bien souvent comme ici, de passer par une (très improbable) greffe.
Mathias Malzieu rédige donc, quasiment au jour le jour pendant presque 2 ans, un journal de bord qui le maintient à flot, lui permet de s'extraire de la chambre stérile dans lequel on le tient confiné pour éviter tout risque de contamination. Ce livre est la preuve que littérature et écriture sont bien souvent des forteresses, d'inestimables refuges. Entouré de nymphirmières aux petits soins, d'une amoureuse transie (le rocher le plus doux) et de spécialistes chevronnés, l'artiste raconte son quotidien en dents de scie, fait de regains d'espoir et de violentes rechutes de moral. Avec toujours chez lui, cette capacité à magnifier, à embellir, cette féerie du verbe, cette prose à mi-chemin entre le conte et le surréalisme, que j'ai trouvé absolument jouissive.
C'est une oeuvre protéiforme qui vous fera découvrir - en des termes simples - le principe d'une maladie auto-immune, la sorcellerie mécanique de la transfusion, ce que sont le chimérisme et un myélogramme, la douceur délicate des équipes médicales et le talent de tous ces extraordinaires êtres humains planqués sous des blouses, ou dans des déguisements de chirurgiens.
Ce Journal est aussi pour le malade qu'il fut une façon de rendre un très touchant hommage aux équipes brillantes, empathiques, courageuses et si fiables qui peuplent les plus grands hôpitaux français. Malgré la douleur et la tentation du désespoir, Malzieu se bat, ragaillardi par l'amour (de sa chérie, de ses amis), par les compétences sérieuses des praticiens, mais aussi par la poésie et la créativité qu'il laisse exploser dans ces pages.
Je commence à m'attacher à eux. Ils m'impressionnent de patience et d'écoute. Ils tiennent droit dans ce flot d'ombres à grumeaux qui balaient les couloirs de l'hôpital. Ils pilotent des canots de sauvetage avec de tout petits gouvernails dans des tempêtes de détresse. Ils sont beaux.
Il y évoque aussi souvent les lectures salutaires, celles qui vous maintiennent la tête hors de l'eau quand le naufrage semble proche, de celles qui élèvent l'âme et empêchent de sombrer : Feuilles d'Herbe de Walt Whitman (dont on entend les très célèbres vers dans Dead Poets society), Hagakuré (le livre secret des samouraïs), mais aussi Kerouac, Brautigan, Roald Dahl - tous ceux qui, par leurs mots, permettent de tenir à distance la menaçante Dame Oclès qui suit le malade comme son ombre.
J'avais déjà une immense sympathie pour le chanteur et l'écrivain, mais depuis que je sais qu'il partait dès potron-minet se faire transfuser en skateboard, mon attachement pour Mathias Malzieu a gagné quelques crans. (Skateboards qui se muent d'ailleurs chez lui en skatagères d'ailleurs....Nous ne sommes pas loin du pianocktail de Vian !)
De toutes les lectures imposées par le Prix du magazine Elle, ce Journal est mon coup de coeur : un véritable manuel de philosophie, à la fois poignant, léger, grave et poétique, qui - quelle gageure vu le sujet - m'a fait plus d'une fois éclater de rire tant l'auteur parvient à extraire de l'humour de toute situation, même tragique. Et puis bon : un bouquin où l'on croise Joann Sfar, des crêpes au Nutella, Clémence Poésy et la librairie Shakespeare & Co ne peut pas être totalement mauvais.
Un livre proprement bouleversant, touché par la grâce, truffé de magiques trouvailles stylistiques et de pages inspirées, reflets d'une belle âme singulière : à mettre entre tous les mains et contre tous les cœurs sensibles.