Jouer avec la matière du passé, la modeler avec lyrisme, l'héroisant presque. Un exercice autobiographique des plus sincères. Cri et murmure, vérité et mensonge, Jean Genet vole ses souvenirs, pour la beauté du mal, et de l'amour.
"Nous savons que notre langage est incapable de rappeler même le reflet de ces états défunts, étrangers. Il en serait de même pour tout ce journal s'il devait être la notation de qui je fus. Je préciserai donc qu'il doit renseigner sur qui je suis, aujourd'hui que je l'écris. Il n'est pas une recherche du temps passé, mais une œuvre d'art dont la matière-prétexte est ma vie d'autrefois. Il sera un présent fixé à l'aide du passé, non l'inverse. Qu'on sache donc que les faits furent ce que je les dis, mais l'interprétation que j'en tire c'est ce que je suis - devenu."
Ainsi est ce journal où les fragments d'une vie d'errance, de vol et d'amour se heurtent les uns aux autres, formant un alliage brut, étincelant. Il les répète (beaucoup), il les inverse, il les transcende, il les redéfinie. Poète, esthète, Genet taille les mots, ses mots pour livrer une déclaration d'âme, d'amour au vol et aux hommes beaux et forts. Il livre en vrac sa légende, non pas une vie, mais l'interprétation d'une vie où la trahison est magnifique et magnifiée, où les corps sont forts, une existence vers une sainteté, où l'âme est forgée dans la honte et dans l'orgueil. Le voleur trouve la beauté la plus divine dans les choses les plus veules, à l'envers de notre monde, nous à qui il s'adresse parfois comme si nous vivions dans un univers différent, notre monde auquel il viendra se joindre, duquel il fait partie lorsqu'il noircit ces pages. Cependant, à la lecture de ce journal, on plonge dans le terrier, dans un pays des merveilles qui n'est pas supposé en être un, et pourtant. Oui, et pourtant. Le livre fermé, j'ai eu un sentiment viscéral d'avoir volé, trahi et aimé. Et ce monde de salauds que je réalise n'avoir fait que visiter l'espace et le temps de quelques pages, ce monde où les bagnards sont des fleurs, et le bagne, un paradis rêvé, idéalisé, ce monde me manque. Oui, l'Espagne me manque.
"Je parle de quelqu'un (...) mort depuis toujours, c'est-à-dire fixé, car je refuse de vivre pour une autre fin que celle même que je trouvais contenir le premier malheur: que ma vie doit être légende c'est-à-dire lisible et sa lecture donner naissance à quelque émotion nouvelle que je nomme poésie. Je ne suis plus rien, qu'un prétexte."
(conclusion d'une merveilleuse tirade, un des moments forts du livre)
UPDATE 17 avril: Je monte ma note de 9 à 10, car Journal du voleur est encore très présent dans mon esprit et c'est signe de grandeur.