Kirinyaga vient d'une demande de la part d'Orson Scott Card, ami de l'auteur Mike Resnick, avec des contraintes: écrire une tentative d'utopie sur une planète en gardant un lien avec le reste de la civilisation. D'abord curieux, Mike Resnick s'est retrouvé à écrire plusieurs nouvelles, qui toutes cumulées ont donné le livre le plus primé de l'histoire des prix de Science-fiction.
Ce qui donne crédibilité à sa proposition, c'est de choisir le point de vue du mundumugu, sorte de médecin sorcier chamane faisant autorité intellectuelle dans les tribus des Kikuyus. Mais ce mundumugu a été formé dans les plus grandes universités occidentales et maîtrise le climat par une technologie qu'il est le seul à manipuler, en la faisant passer pour le dieu des Kikuyus. Ainsi dans ce personnage principal se trouve une réelle volonté de retour aux racines en même temps qu'une malhonnêteté vis-à-vis de ses congénères. Ces derniers ne doivent surtout pas accéder au savoir que lui possède pourtant, sous peine de voir revenir l'occidentalisation son peuple, comme ce fut le cas au Kenya. Ce point de vue est parfait pour traiter des contradictions de la démarche d'un retour à la terre utopique. Au travers d'histoires simples, on ne peut que constater la grande érudition de Mike Resnick au sujet du Kenya et des Kikuyus particulièrement. L'association du futurisme et de la conquête spatiale avec l'exotisme d'une vie à la savane traditionnelle donne une couleur inimitable à ce livre. D'autant que ces récits courts sont construits de la même manière que les paraboles animalières dont le narrateur gave ses ouailles. Ajoutez donc à tout cela, l'aspect simple, linéaire et discursif du conte. Chaque histoire devient un propos précis qui questionne et met à mal l'idéalisme de notre narrateur.
Mais il ne faut pas trop faire de politique dans sa tête. Car Mike Resnick est un occidental, qui aime faire des safaris. Aussi, sans rentrer dans les détails, il est malheureusement facile, trop facile de voir dans ces récits une valorisation de l'occident. L'erreur du mundumugu est de vouloir empêcher toute occidentalisation alors que celle-ci semble irrémédiable car...car c'est le progrès. En plaçant cette confusion entre occidentalisation et progrès chez son narrateur, Mike Resnick plonge dans la sienne. Il ne faudrait pas tout jeter de l'occident car il y a des progrès à prendre. Mais au final, il ne sert à rien de filtrer, cette société traditionnelle voudra nécessairement tout prendre de l'occident. Il a été très décevant pour moi de lire la post-face de l'auteur, que je croyais kenyan. Car sans changer une ligne de texte, oui, le fait de savoir que c'est un anglais qui fait des safari le place qu'il le veuille ou non du côté du colonisateur, et ça a changé ma vision du livre.
Ajoutons à cela qu'ici on parle de l'intégrale de Kirinyaga, comprenant donc sa suite, Kilimandjaro. Equivalent moins idéaliste de Kirinyaga, Kilimandjaro se permet tout bonnement la prétention d'inventer la démocratie en la décrivant en quelques lignes. En prétendant trouver le juste milieu entre traditions et "progrès", Mike Resnick enfonce des portes ouvertes et finit bel et bien par nous amener le capitalisme comme seul moteur possible vers un idéal. Ces arguments contre ce dernier livre ne sont pas d'ordre littéraire, je le sais bien, mais lorsqu'il s'agit d'une réflexion aussi vaste et difficile que l'idéalisme, il est difficile de ne pas tiquer devant la facilité et la rapidité de nombreux choix de société qui agrémentent le discours de l'auteur. Notons par exemple au passage, que la personne la plus érudite et intelligente de toute la planète Kilimandjaro est le seul blanc de la planète, de façon objective. Tous les ex-kenyans masaïs sont évidemment ravis dans leur grande sagesse de petit peuple, de voter pour l'intelligence supérieure des universités occidentales, et l'unique blanc devient donc président de Kilimandjaro. D'accord ou pas d'accord avec la vision du progrès, j'ai ici un problème de vraisemblance.
Une belle écriture pour Kirinyaga, un style particulier que celui du conte de science-fiction, un ensemble de nouvelles qui mérite ses applaudissements par l'originalité de l'approche. Mais idéologiquement teinté quoiqu'en dise son auteur, et sa suite carrément prétentieuse est largement dispensable.