Au XXIIe, l'Administration Terrienne s'est lancée dans un ambitieux programme de colonisation et de terraformation de planétoïdes, ceci dans le but d’expérimenter différents modes de société.
Sur un monde terraformé et idyllique répondant au nom de Kirinyaga, Koriba médite sur son accomplissement.
Lui, un homme de conviction, un intellectuel d’origine Kikuyu, écœuré par l'industrialisation et l'occidentalisation de son Kenya natal a réussi à créer une utopie africaine sur un morceau de caillou perdu au cœur des étoiles.
En tant que Mundumugu (sorcier) de Kirinyaga, c'est à Koriba qu’incombe la lourde tâche de veiller à ce que les préceptes sacrés de la culture Kikuyu soient respectés et transmis aux futurs générations.
Mais l'utopie en vase clos est une chose fragile, plus encore si son intégrité ne repose que sur les épaules d'un homme seul, convaincu du bien-fondé de sa cause.
L'utopie est-elle possible ? Et surtout, est-elle souhaitable ?
C'est à cette question que tente de répondre Mike Resnick, un auteur de SF talentueux et surtout un passionné de l'Afrique.
À travers une série de nouvelles parsemée de contes et de paraboles, l'auteur s'attache à décortiquer les qualités mais également les limites d'un monde mener exclusivement par la tradition et par le mysticisme.
Loin d’être un monde utopique dans le sens « société juste et égalitaire » du terme, les habitants de Kirinyaga sont regroupés au sein d'une communauté qui respecte scrupuleusement la tradition Kikuyu au mépris de toute forme de progrès social et technique.
Car plus qu'une société basée sur le respect de la nature, la symbiose avec son environnement et le pacifisme, la colonie traditionaliste fondée par Koriba est surtout victime d'une rigidité extrême des plus discutables : l'instruction de la femme y est interdite, la médecine moderne y est proscrite, les infirmes et les vieillards sont jetés en pâture aux hyènes et les bébés nés en siège sont sacrifiés.
En tant que garant des coutumes séculaires de son peuple et fondateur de la communauté, Koriba est donc naturellement le personnage central du récit. Celui autour de qui, tout gravite.
Chaque nouvelle le confronte à un problème, aux premiers abords insoluble, capable de menacer la stabilité de sa société.
Comment faire si une petite fille désire apprendre à lire et à écrire ? Si des jeunes hommes se suicident à cause d'une vie dénuée de surprises et d'avenir ? Si une vieille femme décide de ne plus respecter son rôle au sein de la communauté ou si les autorités de l'Administration décident subitement de mettre fin à l’expérience ?
C'est au fil de ses aventures que le visage de Koriba se dévoile : Personnage complexe et difficile à appréhender, il apparaît tour à tour comme un individu sage mais arrogant, idéaliste mais obscurantiste, bienveillant mais hypocrite, humaniste mais sectaire.
Un homme instruit qui refuse le progrès mais qui garde tout de même un ordinateur pour contrôler la météo et donner du poids à ses arguments mystiques. Un homme qui, pour préserver sa vision, se ment à lui-même.
L'utopie de Koriba est donc vouée à l’échec car elle se fonde sur un mensonge : celui de croire que la société Kikuyu est une société parfaite capable de perdurer sans avoir besoin d'évoluer ce qui aboutit à une stagnation qui l’empêche de devenir réellement parfaite.
C'est le principal propos du livre : l'impossibilité de l'utopie, le fait que cette dernière n'est pas une finalité mais une aspiration, un sentier à emprunter.
Kirinyaga, c'est l'histoire de la lutte permanente du traditionalisme et des coutumes face à l’inéluctable évolution d'une société, à son besoin vital de progresser et d'apprendre ou non de ses erreurs.
Kirinyaga, c'est au final un livre intelligent qui pousse à la réflexion et qui tente d'apporter un début de réponse quant à la faisabilité d'un monde utopique tout en évoquant la nostalgie d'un âge passé qui ne reviendra pas.
Un immanquable.