Roman sacrificiel, empreint d'une piété diffuse dans les deux premiers tiers avant de sombrer dans une "Passion de Maria" trop démonstrative, L'Agneau des neiges souffre d'une écriture à la singularité omniprésente mais vaine.


Dimitri Bortnikov en a pourtant sous la plume. Certaines phrases sont d'une grande pureté stylistique, les personnages sont attachants et l'horreur du monde survient toujours avec une instantanéité froide presque clinique, quand on ne l'attend plus et que l'on se prend à espérer.


Mais au delà de ces quelques qualités, ce livre a beaucoup trop de défauts pour séduire. En premier lieu, l'auteur use et abuse d'une ponctuation heurtée faite de points d'exclamation et de points de suspension constants qui rend rapidement la lecture insupportable. Certaines pages sont une succession de groupes de mots sans verbe (je refuse d'appeler cela des phrases) séparés les uns des autres par une ponctuation expressionniste jusqu'à l'écœurement. Et je préfère ne pas m'appesantir sur les onomatopées qui émaillent le récit et l'alourdissent à l'envie. En adoptant un style "oral" à hauteur de Maria, son personnage principal, Bortnikov tient son lecteur à distance d'un roman qu'il veut pourtant intimiste. Style qu'il ne parvient d'ailleurs pas à maintenir de façon constante, offrant des ruptures de ton artificielles au cours desquelles il laisse voir quelques saillies brillantes mais trop rares pour rattraper l'ensemble.


La lecture devient rapidement une gageure et l'on se fatigue à faire l'effort d'accompagner Maria tout au long des stations de son interminable chemin de croix. Le siège de Leningrad qui clôt le roman et devrait être un sommet tragique devient une accumulation d'horreurs presque racoleuse et se présente comme un mélodrame complaisant d'une grande maladresse où peine à ressortir l'émotion alors même que l'impératif "Pleurez, chers lecteurs" semble tamponné en rouge sur chaque page.


Maria, pauvre personnage de Bortnikov, est ainsi sacrifiée deux fois, sur l'autel de la folie des hommes et sur celui du style. Dommage, elle méritait mieux.

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le 18 févr. 2022

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RunningJack

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