Quelle mémoire pour quelqu'un qui a essayé d'oublier!


En somme, je ne possède rien d’autre que ma mort, pour exprimer ma vie... En suma, no poseo para expresar mi vida, sino mi muerte... (César Vallejo, poète péruvien)



Je me souvenais donc en espagnol du début de ce poème de Vallejo, tout en regardant le bleu du ciel sur sa tombe, dans le cimetière Montparnasse.



Quelle oeuvre d'art que ce livre de Jorge Semprun! Bien au delà du témoignage, les méandres du récit parcourent de nombreux souvenirs en effleurant les rives de la poésie et de la philosophie pour essayer de décrire la complexité de ce que l'auteur a, un temps, essayer d'oublier pour vivre: l'expérience de la mort. Déjà dans le train qui les conduisait en France après la libération de Buchenwald, certains l'avaient pressenti: "Raconter bien, ça veut dire: de façon à être entendus. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment d'artifice pour que ça devienne de l'art!"


Au fil de la lecture, on comprend l'importance, parfois terrible, des mots, des langues, des chants, des poèmes et des idées pour celui qui avait toujours rêvé d'être écrivain. L'exercice d'écriture dont on ne sait plus très bien s'il est vital ou mortel est passionnant!


L'ensemble est d'une très grande qualité littéraire mais c'est un récit sans structure apparente dont le foisonnement peut désarçonner. Qu'apporterait finalement une quelconque structure à un discours dont le fouillis des réminiscences ne fait que renforcer la puissance? N'est-il pas important de parcourir à notre tour les sentiers sinueux de la mémoire pour essayer de comprendre?



Je ne possède rien d’autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l’exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d'y parvenir, c’est l’écriture. Or celle-ci me ramène à la mort, m’y enferme, m’y asphyxie. Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture, mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre.


Débectine_Gorre
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le 25 sept. 2015

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