Boris Vian nous offre ici une œuvre musicale, onirique, sentimentale et philosophique
«Il y a seulement deux choses : c’est l’amour, de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid»
Le roman est une suite de rythmes différents entre l’amour, les passions, le désespoir aux critiques violentes qui s’enchaînent et se confondent dans un morceau improvisé et entraînant.
L’univers nous absorbe par son aspect fantastique mais surtout changeant. Il nous embarque dans un rêve surréaliste qui évolue tout au long du roman. L’auteur joue et réinvente un monde unique avec les mots, les métaphores et une imagination débordante. On peut citer l’iconique «pianococktail», qui démontre le thème musical omniprésent et ajoutant une touche d’originalité qui fascine.
Ce monde n’est pas statique, il me fait penser à une improvisation qui bouge et évolue selon ce que le musicien ressent, nous forçant à tout écouter pour ne rien rater de nouveau.
Ce roman est également puissant avec les critiques de la société que l’auteur définissait comme « laide » dans sa préface. Le monde du travail, l’Eglise, le mariage, le système capitaliste… tout est tourné au ridicule. Les hommes ne sont que des machines mourant facilement et étant remplacés tout aussi rapidement, les animaux sont décrits comme plus humains que cette société machinale… (La différence entre la mort des inconnus non essentiels et celle de Chloé m’a marquée par l’intensité émotionnelle totalement opposée.)
Même l’enterrement est ridiculisé, moment censé être émotionnellement lourd. Et tout cela sous un trait d’humour intéressant qui enrichit cette critique.
L’histoire d’amour entre Colin et Chloé (d’abord trop mielleuse et revue à mon goût) surprend par sa puissance et sa poésie délicate. La passion entre ces deux personnages nous emporte et m'émeut profondément même si elle peut être un peu "clichée" des romans d'amour.
«Il me faudra des mois, des mois, des mois pour que je me rassasie des baisers à vous donner. Il faudra des ans de mois pour épuiser les baisers que je peux poser sur vous, sur vos mains, sur vos cheveux, sur vos yeux, sur votre cou.» «C'est horrible, dit Colin. Je suis à la fois désespéré et horriblement heureux. C'est très agréable d'avoir envie de quelque chose à ce point-là.»
Ce roman affiche un bonheur qui s’éteint fatalement par l’extinction de cette passion amoureuse avec Chloé, qui se fane presque littéralement (de belle, lumineuse à sombre, renfermée). Le monde imaginaire s’éteint alors également.
Ce n’est pas que Chloé qui part, mais toute la beauté et le rêve avec et ainsi le roman qui tournait autour. La musique "Chloé" s'arrête de tourner et tout l'atmosphère retombe.
L’écriture est légère, simple avec des fragments de fantaisie et de poésie. Le roman n’est pas tragique ou sentimental en soi, mais on se fait bercer par cette plume et ces métaphores délicates qui nous atteignent au cœur.
L’écume des jours est un roman lyrique et décalé qui ma fait réfléchir et émue en me tenant en haleine avec sa délicatesse et également sa puissance qui furent une belle surprise au fur et à mesure de ma lecture.
Un essentiel romantique musical à ne pas rater par son rythme particulier et son message optimiste, malgré une vision très pessimiste de la société de l'époque et d'aujourd'hui.
«On se rappelle beaucoup mieux les bons moments ; alors, à quoi servent les mauvais?»