C'est l'histoire d'un type qui rate complètement sa vie !!!


On se réfugie dans le médiocre, par désespoir du beau qu'on a rêvé !



Si on devait résumer L'Education sentimentale de Gustave Flaubert en une seule phrase, cela donnerait : "C'est l'histoire d'un type qui rate complètement sa vie".


Bien évidemment, dit comme cela, ce résumé ne peut apparaître qu'hyper réducteur du fait de la richesse de l'oeuvre, pour les raisons qu'on passerait ainsi à côté d'une écriture magistrale, d'une superbe galerie de personnages, de la description précise d'une époque. Mais je vais y revenir après...


Oui, parce que résumé de manière réductrice ou pas, L'Education sentimentale c'est malgré tout en grande partie l'histoire d'un type qui rate complètement sa vie. On a envie de hurler "Julien Sorel, c'est moi" (pas jusqu'à éternuer dans le sac, il ne faut pas déconner tout de même !!!) ou de vitupérer "Eugène de Rastignac", c'est moi" ou encore de rugir "Georges Duroy, c'est moi", pour se donner l'illusion pendant quelques secondes qu'on l'est réellement et se rendre tout de suite compte après qu'on est totalement ridicule.


Pourquoi ??? Parce que ce sont des personnages qui partent du bas de l'échelle sociale pour arriver au sommet, qui saisissent sans hésiter la moindre seconde chaque opportunité, ce sont des fonceurs. On pourra toujours arguer que la réussite sociale ne vaut pas la réussite spirituelle, mais c'est un autre sujet et je suis là pour parler de Flaubert...


Tout ça pour dire qu'on se dira jamais "Frédéric Moreau, c'est moi". Au contraire, on essayerait plutôt de se dire "Frédéric Moreau, c'est pas moi du tout" tout en n'étant pas toujours convaincu par cette affirmation ; ce qui fait que quelquefois j'ai eu envie de détester ce roman. C'est un loser. Il rate pleinement sa vie professionnelle (si on part du principe qu'il en ait une !!!) et sa vie sentimentale.


Pour sa vie professionnelle, s'il n'est pas d'une famille super-riche il ne part pas particulièrement du bas de l'échelle. Et s'il ne monte pas, ce n'est pas parce qu'il rencontre de mauvaises personnes aux mauvais moments ou qu'il n'arrive pas à rencontrer les bonnes personnes aux bons moments, au contraire... Ce n'est pas parce qu'il ne connait pas des opportunités à saisir, au contraire... Et ce n'est pas la peine de sortir le prétexte de l'époque, de 1840 à 1867, car au contraire des périodes calmes, lors de celles tendues il y a toujours des portes qui s’entrouvrent...


Pour sa vie sentimentale, il va avoir quatre femmes qui vont tomber amoureuses de lui. Certains n'ont même pas le quart de cela. Et il va se ramasser complètement sur les quatre. Il aurait pu avoir celle qu'il voulait... oui, oui... y compris Marie Arnoux, avec de l'audace, il aurait pu l'avoir... mais non...


Frédéric Moreau est veule, inconsistant, incapable d'aller jusqu'au bout de la moindre chose... Ce protagoniste est le loser ultime de la Littérature. Quand on se trouve des points communs avec lui, on est énervé...



Il y a des situations où l'homme le moins cruel est si détaché des
autres, qu'il verrait périr le genre humain sans un battement de cœur.



Mais, cette oeuvre est autre chose. C'est le portrait d'une époque, complexe, vite changeante, avec même une révolution, que Flaubert décrit et à côté de laquelle Moreau va bien entendu passer à côté.


Et aussi une belle galerie de personnages. Je ne vais pas tous les décrire parce que ce serait beaucoup trop long. Mais il y en a deux qui m'ont particulièrement marqué.


Rosanette, courtisane tout ce qu'il y a de plus séductrice, superficielle et dispendieuse qui va prendre un virage inattendu et devenir un personnage profondément attachant. La dernière fois où elle est évoquée montre qu'elle a une valeur humaine immense.


Et surtout, Sénécal, un personnage glaçant, qui sert toujours une idéologie, plusieurs idéologiques tout au long du roman qui peuvent être tout et son contraire, mais une idéologie à la fois, incapable de la moindre concession que les circonstances du quotidien et celles des relations humaines poussent pourtant à faire. C'est un sectaire, un fanatique absolu. Le pire, c'est que l'on peut en croiser des tas de Sénécal aujourd'hui... Sa toute dernière apparition, en plus d'être un grand moment de littérature, est foudroyante comme l'éclair et laisse le lecteur assommé.


C'est une preuve, si besoin était, que Flaubert était un très grand. Et si dans la globalité de l'oeuvre, une ou deux description(s) sont un peu lourdes, son style, toujours mâtiné d'ironie, ne passant jamais à côté du moindre ridicule, fait quasi-tout le temps des merveilles.


Car il fallait un sacré talent d'écrivain pour faire aimer un roman de la frustration, avec un loser complet pour protagoniste, et où au bout du compte il ne se passe rien. C'est un exploit de nous amener n'importe où, surtout si ce n'importe où est nulle part.



L'action, pour certains hommes, est d'autant plus impraticable que le
désir est plus fort. La méfiance d'eux-mêmes les embarrasse, la
crainte de déplaire les épouvante; d’ailleurs, les affections
profondes ressemblent aux honnêtes femmes ; elles ont peur d’être
découvertes, et passent dans la vie les yeux baissés.


Plume231
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Ce que je dois lire au plus vite moi qui suis un gros fainéant adepte de la procrastination !

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le 24 juin 2017

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Plume231

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