Maggie Black, journaliste anciennement poètesse, femme cosmopolite aux pieds qui démangent, se voit offrir en héritage la maison et les terres désertiques de Davis Cooper, vieux poète alcoolique, son correspondant et ami depuis des années. Maggie se rend dans ces paysages de montagnes et de cactus inconnus d'elle si urbaine, avec en tête de résoudre le mystère de la mort de Cooper, disparu dans des conditions obscures. Elle découvrira peu à peu que les collines, le canyon, le désert, regorgent de forces de la nature qui chargent les lieux d'événements que seuls les esprits exercés peuvent percevoir.
D'emblée, moi on me parle de désert, de maisons isolées dans la nature, de mythes chamaniques, je fonce. Alors il faut dire tout de suite que pour celui qui se lancera dans cette lecture, il faudra probablement comme moi s'accrocher une bonne centaine de pages, tant le début est loin de laisser paraître ce qui se dessinera ensuite. Les paysages décrits par Terri Windling font voyager, et la mise en scène de la puissance de la nature en de tels lieux est passionnante, bien que partiellement attendue. L'univers magique et féérique de conte qui est présenté par la quatrième de couverture et l'illustration de Brian Froud peuvent au premier abord paraître très référencés, et faisant partie d'un folklore littéraire et populaire déjà connus du lecteur. Les personnages magiques de "L'épouse de bois" en évoquent d'autres. Pourtant, Terri Windling manipule ces entités en leur conférant des caractéristiques qui les rendent humaines et imprévisibles, et les détachent de l'écueil de l'esprit de la nature qui vient enseigner ses préceptes mystiques au pauvre mécréant. Dans le roman, la nature et ses entités s'articulent avec les hommes plutôt qu'elles ne les transcendent, et c'est justement cela qui détourne le sentiment de déjà-vu. Le personnage de Tomàs, d'ailleurs, l'évoque très bien : ce n'est pas parce qu'il a une tête d'Indien et qu'il sait écouter le chant des pierres qu'il connaît toutes les réponses et maîtrise mieux que les autres les tenants et les aboutissants de l'univers.
Autre pente glissante que l'auteur négocie avec brio : l'ancrage des personnages dans le milieu artistique. On a dans ce désert la plus grosse concentration mondiale au km² d'artistes, qui auteur, qui peintre, qui musicien. Les préoccupations qui taraudent le personnage principal, Maggie Black, aux prises avec son désir profond d'ancrage et de poésie, peuvent paraître archétypales d'une intelligentsia bourgeoise et blasée, nourrie aux petits fours, au champagne, et aux costards Armani. C'est parfois mis en valeur au détriment du cheminement qui éloigne notamment le personnage principal de ces préoccupations urbaines. Toutefois, la thématique de l'art, et de la vie vécue comme une poésie, fait partie des fondations du roman, et peut-être faut-il simplement le prendre comme tel.
Malgré tout cela, "L'épouse de bois" est une oeuvre douce et délicate, écrite avec sobriété et patience, voire avec une forme d'efficacité. Les relations épistolaires, les fragments de poèmes, la description des lieux, la manière dont Terri Windling tisse les liens entre les personnages ; tout cela est réalisé avec justesse, avec humilité.
On pourrait regretter l'arrivée tardive de l'intégralité des protagonistes magiques, avec qui on a finalement peu le temps de se familiariser, mais le lien qui nous relie aux habitants du Tucson et à leur cheminement dans les événements qui les dépassent est solide. On les aime tous, parce qu'ils sont touchants et ciselés, parce qu'en peu de mots et de détails, Terri Windling les circonscrit et les rend attachants.
C'est un livre frais, aux odeurs de mousse, de vent et de poussière. Il n'est pas parfait dans sa forme et son contenu, en tout cas pour moi qui ait parcouru le genre assidûment et qui ait pas mal de références en tête, mais il laisse une impression délicate, comme si on avait pris soin de moi pendant quelques semaines. Je le conseille à tous ceux qui rêvent de nature, de solitude et de rêveries.