L'Étranger
7.7
L'Étranger

livre de Albert Camus (1942)

L'étranger est un roman déroutant à deux niveaux. D'abord par le détachement émotionnel de Meursault, personnage principal et surtout narrateur. Ensuite, par le décalage entre son statut de classique de la littérature française et son style minimaliste qui ne vient pas soutenir un récit au départ littéralement banal ; tout juste parvient-il à lui insuffler quelques fulgurances improbables comme dans l'incipit, même s'il a au moins le mérite de souligner le désintérêt de Meursault.

Cela dit, l'Etranger est loin d'être un roman difficile à lire. Il est simple, court, et paradoxalement - presque - prenant du fait de l'atmosphère absurde qu'il dégage. A l'issue de la première partie je restais néanmoins perplexe tant elle paraissait anecdotique, et légèrement invraisemblable. Elle prendra tout son sens dans la deuxième partie, bien plus captivante, frappante même, et qui soulève toutes les questions philosophiques et morales que l'on retient habituellement du livre.
Le personnage de Meursault reste la plus grande réussite du bouquin, objectivement indigne de sympathie et pourtant tellement passif et amoral qu'il apparaît également comme une victime. Une forme d'inhumanité qu'on hésiterait à condamner par le simple fait qu'on ne s'est pas particulièrement révolté lorsqu'on la lisait, anesthésié par le point de vue sincère du narrateur, mais qui semble des plus choquantes du point de vue externe de la société (auquel il est étranger, évidemment).
C'est là toute l'ambiguïté d'un personnage extrêmement froid d'ailleurs gêné par le soleil et le climat algérien ; Camus semble vouloir souligner tout le long une sensibilité uniquement égocentrique, une déconnexion des valeurs sociales (humaines ?), une perception du monde sans équivalent – parfois d'une absurdité comique et parfois fatigante. Une sensibilité physique donc mais pas seulement puisque Meursault a l'air de vaguement rechercher le bonheur et la tranquillité, de sorte que son indifférence s'effritera enfin dans les derniers moments (je n'en dis pas plus..!)

De manière générale, le style comme le fond prennent une autre ampleur dans cette seconde partie. J'aurais en revanche aimé un personnage moins taciturne, plus porté sur le monologue intérieur qui aurait mis en valeur le point de vue interne et la portée philosophique de l'oeuvre. Ni vraiment indispensable, ni un chef d'oeuvre à mon sens, l'Etranger me semble finalement être un roman à thèse pas totalement abouti. Le genre de livre où "on" se surprend à prendre plus de plaisir à l'analyser qu'à le lire, en quelque sorte. Peut-être pas l'idéal, mais nul doute que c'est un livre qui au moins fait réagir et est assez unique pour rester dans les esprits – un bon livre, en gros !
Zephir
7
Écrit par

Créée

le 8 mai 2012

Critique lue 8.5K fois

24 j'aime

8 commentaires

Zephir

Écrit par

Critique lue 8.5K fois

24
8

D'autres avis sur L'Étranger

L'Étranger
Ze_Big_Nowhere
8

" L'étranger " pour les nuls

« Aujourd'hui, maman est morte. » lâche Meursault modeste employé de bureau à la joie de vivre digne d'un album de Barbara et au sourire aussi expressif qu'un Michel Sardou entonnant pour la...

le 14 août 2014

129 j'aime

12

L'Étranger
Tom_Ab
10

J'en pleure encore....

Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais plus. Probablement une des phrases d'introduction les plus célèbres - on ne compte plus les romans français et étrangers qui ont copié et...

le 4 août 2013

115 j'aime

13

L'Étranger
TheMyopist
8

Nous sommes-nous déjà vus ?

"L'étranger", c'est le portrait d'un Indifférent, d'un de ces hommes qui vit, mais pas pour lui, pas pour les autres non plus. Il est juste là, agissant au gré de l'instant, se laissant porter par...

le 11 déc. 2012

93 j'aime

8

Du même critique

Funeral
Zephir
9

Où l'on enterre la retenue

Il me semble important de replacer Funeral dans son contexte. Au début des années 2000 le rock n'est pas vraiment à l'honneur, si bien que certains vont même jusqu'à déclarer sa mort. La britpop est...

le 2 avr. 2012

46 j'aime

17

Candide ou l'Optimisme
Zephir
6

Que retiendrez vous de ce livre ?

Personnellement, pas grand chose, car le livre repose essentiellement sur le style de Voltaire et l'ironie avec laquelle il critique la guerre, le fanatisme religieux, l'esclavage... L'excessive...

le 5 nov. 2011

38 j'aime

1

Reflektor
Zephir
8

" Is it a dream, is it a lie ? I think I'll let you decide. "

(A album obèse, critique obèse, désolé.) Au-delà de l'aspect musical et d'un catalogue très solide il y a une caractéristique chez Arcade Fire qui les a toujours placé parmi mes groupes essentiels :...

le 26 oct. 2013

27 j'aime

2