L'étranger est un roman déroutant à deux niveaux. D'abord par le détachement émotionnel de Meursault, personnage principal et surtout narrateur. Ensuite, par le décalage entre son statut de classique de la littérature française et son style minimaliste qui ne vient pas soutenir un récit au départ littéralement banal ; tout juste parvient-il à lui insuffler quelques fulgurances improbables comme dans l'incipit, même s'il a au moins le mérite de souligner le désintérêt de Meursault.
Cela dit, l'Etranger est loin d'être un roman difficile à lire. Il est simple, court, et paradoxalement - presque - prenant du fait de l'atmosphère absurde qu'il dégage. A l'issue de la première partie je restais néanmoins perplexe tant elle paraissait anecdotique, et légèrement invraisemblable. Elle prendra tout son sens dans la deuxième partie, bien plus captivante, frappante même, et qui soulève toutes les questions philosophiques et morales que l'on retient habituellement du livre.
Le personnage de Meursault reste la plus grande réussite du bouquin, objectivement indigne de sympathie et pourtant tellement passif et amoral qu'il apparaît également comme une victime. Une forme d'inhumanité qu'on hésiterait à condamner par le simple fait qu'on ne s'est pas particulièrement révolté lorsqu'on la lisait, anesthésié par le point de vue sincère du narrateur, mais qui semble des plus choquantes du point de vue externe de la société (auquel il est étranger, évidemment).
C'est là toute l'ambiguïté d'un personnage extrêmement froid d'ailleurs gêné par le soleil et le climat algérien ; Camus semble vouloir souligner tout le long une sensibilité uniquement égocentrique, une déconnexion des valeurs sociales (humaines ?), une perception du monde sans équivalent – parfois d'une absurdité comique et parfois fatigante. Une sensibilité physique donc mais pas seulement puisque Meursault a l'air de vaguement rechercher le bonheur et la tranquillité, de sorte que son indifférence s'effritera enfin dans les derniers moments (je n'en dis pas plus..!)
De manière générale, le style comme le fond prennent une autre ampleur dans cette seconde partie. J'aurais en revanche aimé un personnage moins taciturne, plus porté sur le monologue intérieur qui aurait mis en valeur le point de vue interne et la portée philosophique de l'oeuvre. Ni vraiment indispensable, ni un chef d'oeuvre à mon sens, l'Etranger me semble finalement être un roman à thèse pas totalement abouti. Le genre de livre où "on" se surprend à prendre plus de plaisir à l'analyser qu'à le lire, en quelque sorte. Peut-être pas l'idéal, mais nul doute que c'est un livre qui au moins fait réagir et est assez unique pour rester dans les esprits – un bon livre, en gros !