Le roman est une méditation sur l’existence vue au travers de personnages imaginaires.
1. La vie se vit à travers des perceptions esthétiques inconscientes
*L'homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l'événement fortuit (une musique de Beethoven, une mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans la partition de sa vie. Il y reviendra, le répétera, le modifiera, le développera comme fait le compositeur avec le thème de sa sonate.*
Ce ne sont ni les personnages au demeurant réalistes mais apathiques, anti-héros, le contexte de guerre froide et d'agressions de l'URSS, les digressions philosophiques alternant lucidité féroce délectable ou verbosité futile ou encore les rapports d'amour et de sexe omniprésents mais le fil rouge de la perception, de l'attachement inconscient à une esthétique de vie qui m'a bouleversé.
S'il y avait un fragment à conserver, une lunette à porter pour saisir le monde dans toutes ses subtilités grâce à Kundera : c'est le filtre d'interprétation qu'on applique à chaque situation par rapport à son vécu, ses croyances et un réservoir d'images collectives.
On vit comme ses personnages à travers une poésie, une musicalité, une esthétique, un imaginaire. Un paysage n'est pas neutre. On le scrute en convoquant des images et étant habité par notre partition musicale intérieure. Par exemple, un Français parisien verra différemment une montagne qu'un africain pauvre du Bénin ou qu'un Américain new-yorkais.
Mieux encore, l'amour, la possibilité de réunir deux êtres a comme pilier la connexion entre deux esthétiques de vie sur des concepts forts : sexe, amitié, famille, mort, etc. Ce qui est supérieur à l'expression par le verbe. L'esthétique est implicite, voire indicible, inexprimable et complexifiée par son vécu !
Exemples :
- Sabina versus Franz sur la force, l'enterrement. Difficile car Franz réduit à la force à l'apparence physique tandis que Sabina préfère la force mentale et le juge ainsi lâche, faible, docile avec un vernis de force. Elle interprète donc ses démonstrations de force comme un aveu de faiblesse.
- le Kitch politique de gauche avec le Grande Marche avec a vision fantasmée de grandes manifestations libératrices (esthétique de la rue) mais également la confrontation entre le vocabulaire des Américains ("a bas le communisme") et des Français.
- Fin sur l'interprétation de Tereza de son mari
Pour aller plus loin, l'auteur insiste finalement sur le fait que la dimension interprétative basée sur une esthétique, une vision du beau se substitue à la réalité tangible ou pour le dire autrement aucune réalité ne peut se vivre sans interprétation esthétique, prisme subjectif de la beauté.
Pire encore, on peut réduire autrui à une esthétique terriblement et fatalement préconçue comme c'est le cas des peintures mécomprises de Sabina aux USA qui souhaitent peindre l'universalité mais est réduit à être la porte-parole des violences de son pays pour se conformer à une esthétique du monde souhaitée.
2. Ces perceptions tiraillent les hommes entre légèreté et pesanteur
Plus lourd est le fardeau, plus notre vie est proche de la terre, et plus elle est réelle et vraie. En revanche, l'absence totale de fardeau fait que l'être humain devient plus léger que l'air, qu'il s'envole, qu'il s'éloigne de la terre, de l'être terrestre, qu'il n'est plus qu'à demi réel et que ses mouvements sont aussi libres qu'insignifiants. Alors, que choisir ? La pesanteur ou la légèreté ?*
Deuxième fil rouge sous-jacent : la tension vive entre vivre avec légèreté la vie comme une scène de théâtre ou la vivre avec sérieux, application, routines, et profondeur. La pesanteur doit sens mais est trop difficile à assumer. "N'est grave que ce qui pèse". La légèreté est jubilatoire mais finit par rendre la vie insignifiante. La pesanteur se concentre sur le "vrai" et le "bon" tandis que la légèreté se concentre sur le "beau" ?
Alors... Qu'est-ce qui nous pèse et qu'est-ce qui nous libère ?
Exemples :
- L’histoire d’amour de Tomas et Tereza confirme qu’il ne suffit pas d’aimer quelqu’un pour être heureux. Au contraire, on peut souffrir d’aimer une personne (fardeau) et on peut également la faire souffrir sans le vouloir, parce qu’au fond de nous, bien que l’on aime la personne (légèreté), on ne parvient jamais à changer réellement (pesanteur). C’est là tout le malheur de Tomas qui ne cesse de faire souffrir sa femme, Tereza, avec son infidélité, sa nature libertine. Il veut posséder les femmes mais il n’en aime qu’une. Tereza, quant à elle, est, de son côté, esclave de sa passion pour son homme.
- Sabina est tellement légère, sans attaches, sans repères qu'elle s'envole et souffre de sa fuite en avant perpétuelle.
- Franz s'impose une femme qu'il n'aime pas avec une fille qui ressemble à sa femme par peur de la blesser et de transgresser les conventions sociales.
- Thomas devient tributaire de sa règle et ses routines (pesanteur) envers ses maîtresses qui étaient sensé lui amenait liberté (légèreté) en le sauvant des pesanteurs de l'amour. C'est finalement une addiction mettant en péril son couple
On notera ainsi que l'amour entremêle évidemment pesanteur et légèreté mais que les individus sont dépassés par la confusion inexprimable de cette tension permanente ! Qu'est-ce qui nous pèse et qu'est-ce qui nous libère ? On en revient ainsi aux prises de décision basées sur une esthétique inconsciente et parfois la légèreté prend le costume de la pesanteur et vice-versa....!
Florilège de citations
Peut-on condamner ce qui est éphémère ? Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie; même la guillotine.
L'amour ne se manifeste pas par le désir de faire l'amour (ce désir s'applique à une innombrable multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé (ce désir-là ne concerne qu'une seule femme).
N'est grave que ce qui est nécessaire, n'a de valeur que ce qui pèse. [...] ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est qu'il porte son destin comme Atlas portait sur ses épaules la voûte du ciel. Le héros beethovénien est un haltérophile soulevant des poids métaphysiques.
L'homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l'événement fortuit (une musique de Beethoven, une mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans la partition de sa vie. Il y reviendra, le répétera, le modifiera, le développera comme fait le compositeur avec le thème de sa sonate.
Tant que les gens sont encore plus ou moins jeunes et que la partition musicale de leur vie n'en est qu'à ses premières mesures, ils peuvent la composer ensemble et échanger des motifs (comme Tomas et Sabina ont échangé le motif du chapeau melon) mais, quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, leur partition musicale est plus ou moins achevée, et chaque mot, chaque objet signifie quelque chose d'autre dans la partition de chacun.
Son drame n'était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s'était abattu sur elle, ce n'était pas un fardeau, mais l'insoutenable légèreté de l'être. Jusqu'ici, les instants de trahison l'exaltaient et l'emplissaient de joie à l'idée qu'une nouvelle route s'ouvrait devant elle et, au bout, encore une autre aventure de trahison. Mais qu'allait-il se passer, si le voyage se terminait? On peut trahir des parents, un époux, un amour, une patrie, mais que restera-t-il à trahir quand il n'y aura plus ni parents, ni mari, ni amour, ni patrie?
Qu'est-ce que la coquetterie? On pourrait dire c'est un comportement qui doit suggérer que le rapprochement sexuel est possible, sans que cette éventualité puisse être perçue comme une certitude. Autrement dit: la coquetterie est une promesse non garantie de coït.
Les uns se réjouissaient parce que l'inflation de lâcheté banalisait leur propre conduite et leur rendait l'honneur perdu. Les autres s'étaient accoutumés à voir dans leur honneur un privilège particulier auquel ils ne voulaient point renoncer. Aussi nourrissaientils envers les lâches un amour secret; sans eux leur courage n'aurait été qu'un effort banal inutile que personne n'eût admiré
Même aujourd'hui, bien que le temps de la conquête ait considérablement raccourci, la sexualité apparaît toujours comme le coffret d'argent où se cache le mystère du moi féminin.
Il faut évidemment que les sentiments suscités par le kitsch puissent être partagés par le plus grand nombre. Aussi le kitsch n'a-t-il que faire de l'insolite; il fait appel à des images clés profondément ancrées dans la mémoire des hommes : la fille ingrate, le père abandonné, des gosses courant sur une pelouse, la patrie trahie, le souvenir du premier amour.Le kitsch fait naître coup sur coup deux larmes d'émotion. La première larme dit : Comme c'est beau, des gosses courant sur une pelouse! La deuxième larme dit : Comme c'est beau, d'être ému avec toute l'humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse! Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est le kitsch. La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch
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les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l'ensemble constitue tel ou tel kitsch politique.
Nous avons tous besoin que quelqu'un nous regarde. On pourrait nous ranger en quatre catégories selon le type de regard sous lequel nous voulons vivre. La première cherche le regard d'un nombre infini d'yeux anonymes, autrement dit le regard du public.[...] Dans la deuxième catégorie, il y a ceux qui ne peuvent vivre sans le regard d'une multitude d'yeux familiers. [...]Vient ensuite la troisième catégorie, la catégorie de ceux qui ont besoin d'être sous les yeux de l'être aimé.[...] Enfin, il y a la quatrième catégorie, la plus rare, ceux qui vivent sous les regards imaginaires d'êtres absents. Ce sont les rêveurs.
Si nous sommes incapables d'aimer, c'est peut-être parce que nous désirons être aimés, c'est-à-dire que nous voulons quelque chose de l'autre (l'amour), au lieu de venir à lui sans revendications et ne vouloir que sa simple présence.