Je n'avais jamais lu de Zola avant cela. Etant tombé sur certains de ses écrits au cours de mes années littéraires au lycée, j'en avais cependant apprécié le style ainsi que sa prise de position pour le droit des ouvriers et autres opprimés de l'époque industrielle. Pour parfaire ma culture de la littérature, et attiré par le sujet de la maladie psychique dans un milieu et une période peu regardante sur ce type de mal-être, j'entrepris de venir à bout de ce livre de plus de 400 pages (et c'est écrit en tout petit...). Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne fut pas déçu du voyage...
Zola entame son récit avec la description d'une gare, en pleine période de la révolution industrielle, il pose ses personnages et le contexte. A savoir, le couple des Roubaud et l'entreprise du meurtre du président Grandmorin, ayant abusé de l'épouse Séverine durant son adolescence. Comprenons nous bien, ce meurtre n'est qu'un prétexte pour la narration. Une manière de montrer que l'on peut tuer en dehors de l'influence des pulsions meurtrières dont est victime Jacques Lantier, dont on devine la schizophrénie, maladie non reconnue au 19ème siècle.
Puis entre en scène le personnage de Jacques. Un homme servile, qui fait corps avec la machine, et dont on découvre bientôt le dysfonctionnement psychique terrifiant. Un homme qui soudain, est victime de pulsions irrésistibles, qui le poussent inlassablement à tuer. C'est la bête humaine.
Par la force de sa volonté, l'homme n'est toujours pas passer à l'acte, mais jusqu'où tiendra t'il ? Durant tout le roman, Jacques est une sorte de bombe à retardement, prêt à libérer sa force bestiale, victime d'un héritage familiale déplorable. Mais il est plus que cela. Zola pousse la réflexion jusqu'à la question de l'atavisme, et de la faute ancestrale, aux premières heures de l'humanité et des loups dévoreurs de femmes. Jacques est une victime tragique de l'évolution. Il est la marionnette de ce que Freud appelera le "ça". Partit de ce postulat de départ, Zola lance un récit poignant à l'heure de la locomotive et de l'exploitation des classes sociales les plus pauvres par la bourgeoisie de l'époque.
Les scènes sont compactes, intenses, longues et descriptives. L'auteur exploite chaque situation et l'amène à son paroxysme, comme s'il exploitait les ressources de son roman jusqu'à l'épuisement. Les personnages sont iconiques, en particulier Flore, une jeune femme à la carrure d'amazone. Une héroïne Zolienne, puissante et incarnée, qui se confrontera à la machine à la fin du roman. Dans un éclat de tempête, la figure féminine la plus féroce rencontre l'instrument de l'homme, la locomotive, souvent comparée à une maîtresse capricieuse dans le roman, mais qui est aussi pour moi, le symbole phallique dans sa toute puissance.
Alors Jacques tentera bien de prendre son destin en main, mais en vain. L'évolution est plus forte que tout. L'atavisme emporte tout. La bête prendra le dessus, et tout sera ravagé, dans un éclair tonitruant de tempête. L'homme sera mis à terre, et l'humanité aura prouvé une fois de plus qu'elle ne peut se défaire de ses antécédents primaires. Mais qu'importe, au moins auront-ils vécus, les héros de Zola, pour tenter d'atteindre l'innatteignable paradis terrestre, l'idéal de bonheur que tout homme cherche à rejoindre.
Un livre qu'on aurait pu ré-intituler "La tempête", comme celle qui se joue en chacun de nous, aux heures les plus sombres de notre existence, et qui tente de nous entrainer dans l'abîme insondable de nos névroses et peurs les plus sinistres. La peur de notre inconscient, de notre "ça" incontrôlable.
La fosse de l'Humanité.