Je pense qu'il est impossible de s'attaquer à la Bible, livre qui a posé tant de pierres fondatrices dans notre société judéo-chrétienne, de façon objective. Il doit exister à peu près autant d'interprétations de la Bible que de gens qui l'ont lue, et la plupart d'entre elles tournent de multiples façons les propos d'un hébreu, araméen, ou grec trop ancien pour être clair. En ces conditions, il est facile de tirer ce que l'on désire de la Bible, qu'il s'agisse de la preuve ou du démenti de l'existence de Dieu.
Personnellement, lors de ma lecture de la Bible, je n'ai pas cherché à prouver ou démentir quoi que ce soit. Je voulais uniquement m'instruire et comprendre. Je n'ai guère d'attrait aux religions, et je n'en ai pas plus pour les débats venimeux que l'on peut avoir à leur sujet.
La Bible, de par son format indigeste (66 livres pour un total de plus de 770 000 mots), ne se contente pas de nous relater des contes et légendes, mais aussi de retracer l'histoire du peuple Juif. Elle nous présente un Dieu qui agit par la parole, qui crée un monde, qui aime, mais qui se met aussi parfois en colère contre le peuple qu'il a façonné à son image. Dieu souhaite que l'homme le respecte, aie Foi en lui et en son Fils, et éprouve de la tristesse et de la hargne à l'égard de ceux qui se détournent de son chemin, parfois en les punissant violemment, tout en insistant sur un point élémentaire : il a fait l'homme libre.
Concrètement, est-ce que la Bible mérite d'être lue ? D'après moi, oui.
Elle donne tout sauf envie, il faut l'avouer : non contente d'être d'une longueur kilométrique, certains passages sont très pénibles à lire. Entre les listes de gens et dénombrements qui n'en finissent pas (Nombres), les événements qui s'enchaînent trop rapidement et anecdotiquement pour qu'on puisse s'y concentrer (Juges, Rois, les petits prophètes), les instructions qui traînent en longueur pour construire une demeure au Seigneur suivies de la construction de cette demeure (Exode, Ezekiel), les chants à la gloire de Dieu qui disent plus ou moins tous la même chose (Psaumes, Lamentations), les listes de lois et règles de vie présentées de façon fastidieuse (Lévitique, Deutéronome, Proverbes), les épisodes-fillers qui servent à résumer ce qui s'est passé dans la saison précédente du feuilleton (Chroniques), ou les évangiles qui répètent certains événements plusieurs fois (Matthieu, Marc, Luc)... On a de quoi faire.
Mais c'est noyé dans cette masse - repoussante, il faut l'avouer - que l'on trouve des récits vraiment intéressants, où l'on découvre toute la « mythologie biblique » (je n'emploie pas ce terme péjorativement, je l'utilise uniquement pour désigner l'univers tel qu'il est présenté par la Bible). La Genèse et l'histoire du Jardin d'Eden est non seulement cohérente, mais surtout fascinante, étant donné que l'ordre dans lequel les choses apparaissent sur Terre est réaliste. Le livre d'Ezekiel est l'un des seuls où l'on voit réellement les anges à l'action, avec une description faite tant bien que mal par le prophète pour retranscrire à son époque ce qu'il avait vu. Le livre de Job va jusqu'à remettre en question l'autorité de Dieu, en plus d'être très agréable à lire et de montrer des images extrêmement en avance sur son temps (« [Dieu] suspend la Terre dans le néant » 26:7). L'Évangile de Jean, complété par les trois autres, permet de découvrir le Christ, et ses enseignements nouveaux pour l'époque. Enfin, l'Apocalypse, qui peut paraître au premier abord comme l'acid trip ultime, ouvre la porte à de nombreuses interprétations souvent fort intéressantes.
Sur le plan littéraire, la forme de la Bible est exhaustive pour l'époque. Certains passages poétiques inspirent le respect, tandis que d'autres sont peu clairs, sans doute faute à un texte ancien et désormais peu lisible. Les passages agréables contrebalancent ceux qui sont lourds à lire, surtout si on juge l'œuvre à la fois en la replaçant dans son époque et en comparant ce qu'elle vaut aujourd'hui.
Au cours de la lecture, on aura vite fait - et à raison - de s'indigner sur la cruauté parfois aberrante de Dieu, des lois barbares qu'il enseigne, de son égocentrisme et de sa puérilité, et des incohérences qui parsèment la Bible (Si Dieu est tout puissant, pourquoi doit-il faire un déluge pour éliminer ceux qui pèchent ? Pourquoi ne peut-il pas juste les supprimer, de la même façon qu'il envoie des maladies sur le peuple égyptien en épargnant les Israélites ?).
En effet, ces enseignements-là ne sont pas sensés avoir de valeur aujourd'hui. Certains contes de la Bible n'ont pas de réelle morale, à part celle d'un Dieu qui dit aux hommes : « faîtes ce que je dis, mais pas ce que je fais » (exemple : 2 Rois 2:23-24, où Dieu tue 42 enfants parce qu'ils se sont moqués du prophète - alors que l'un des commandements les plus importants de la Bible est de ne pas tuer). L'ancien comme le nouveau testament enseignent des valeurs sexistes, en plus d'inviter à voir l'homosexualité et le divorce comme des péchés.
En soi, ce n'est pas un problème : la Bible date de plus de 2000 ans, et ses enseignements concordent à leur époque. Le souci réel, c'est qu'on entend aujourd'hui encore des gens valider leur préjudice en s'appuyant sur des versets bibliques. Ironiquement, Jésus Christ lui-même invite à éviter les persécutions contre les pécheurs, et à les pardonner (Lorsqu'on lui amène une femme coupable d'adultère, il répond : « Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle. » Jean 8:7).
Le plus enrichissant avec la Bible, selon moi, c'est de constater l'évolution de Dieu. Au début, Dieu est aux côtés de l'homme dans le Jardin d'Eden, puis s'en éloigne progressivement, jusqu'à le laisser livré à lui-même à la fin du Nouveau Testament, avec la conclusion et l'annonce qu'il n'y aurait plus d'ajout aux Écritures Saintes. De même qu'il s'en éloigne, il abandonne aussi sa colère et sa conduite de maître punitif pour adopter celle d'un père aimant.
D'ailleurs, j'ai remarqué que ma perception de la Bible a évolué au fil de ma lecture. Au début, je m'indignais facilement des incohérences et de la brutalité dont fait preuve l'Ancien Testament. Puis, au fur et à mesure, sans doute parce que je m'étais accommodé au texte et à sa nature, j'ai commencé à essayer de le comprendre plutôt que de le démonter.
Finalement, je recommande à tous la lecture de la Bible. Je pense que tout le monde peut en tirer quelque chose, ne serait-ce que pour connaître de plus près ce fameux livre, tant référencé et cité dans notre culture. Néanmoins, il ne faut pas commettre l'erreur de chercher à valider ou invalider la Bible, d'oublier de la replacer à la fois dans son contexte et à notre époque, ou pire encore, de se forger son idée sur certains passages sans chercher de commentaires ou d'annotations (d'ailleurs, je recommande à ceux qui voudraient s'attaquer à la Bible de se procurer une version bien annotée - et je déconseille donc vivement la mienne, celle en français courant, dont j'ai dû combler le manque de commentaires par des questions et des recherches personnelles).
Il ne faut chercher en la Bible ni vérité absolue, ni mythologie puérile et contraire à la science - tout comme Jésus, condamné à mort, ne répond pas à Pilate lorsqu'il lui demande : « Qu'est-ce que la vérité ? » (Jean 18:18).