The silence depressed me. It wasn't the silence of silence. It was my
own silence.
L'unique roman d'une jeune femme supérieurement intelligente et artistiquement exceptionnelle de 30 ans, qui, peu de temps après la sortie de l'œuvre, seule, séparée de son mari infidèle, entre l'odeur des factures difficiles à payer, des tâches ménagères, des enfants à s'occuper, d'un hiver d'une froideur telle qu'il fallait en remonter au XIXe siècle pour pouvoir comparer, grisaille déprimante et accentuant bien la solitude et l'impression d'isolement incluse, on l'imagine, a mis sa tête dans la gazinière de son appartement londonien pour ne plus supporter le poids d'une existence, fardeau trop lourd à trimbaler pour elle, non sans avoir laissé, dans les derniers temps, une ultime fulgurance de poésies s'assouvir.
Oui, il est impossible de lire La Cloche de détresse sans avoir cette tragédie bouleversante de la réalité en tête, de ne pas mettre le joli visage de Sylvia Plath sur celui d'Esther Greenwood, le personnage que l'on va suivre. Je n'insisterai pas sur les grosses similitudes autobiographiques, sur le fait que l'ensemble avait été publié sous un pseudonyme, du vivant de l'écrivaine, pour ne pas peiner les proches.
Il vaut mieux insister sur le fait que le tout forme un livre d'une grande puissance.
Le cadre, l'Amérique des années 1950, avec que tout ce que cette décennie prospère peut avoir de trouble, de dérangeant, à base de climat politique anxiogène, de conservatisme et de machisme ambiant, les femmes étant juste destinées à mettre leurs rêves et aspirations de côté pour s'épuiser à être la servante d'un homme (à qui elle a donné sa virginité, bien sûr !) et de son foyer.
On peut y distinguer deux grandes parties.
D'abord, une partie new-yorkaise, où tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, dans une facticité lucide qui se voudrait joyeuse, qui se donne des allures de parenthèse enchantée, malgré quelques incidents, malgré quelques petits signes avant-coureurs, fortement teintés de mélancolie et du sentiment de ne pas être tout à fait à sa place, avec l'ombre menaçante d'un avenir qui s'annonce inévitablement peu attrayant.
Ensuite, une partie avec le désespérant retour au bercail, où on s'emmerde comme un rat mort, suivi d'une véritable descente aux enfers, avec sa dose d'électrochocs, de couloirs d’hôpitaux psychiatriques, de sa faune de "cas".
C'est dans cette seconde partie que l'on atteint le point culminant. Le parti-pris remarquable de Plath, c'est de ne pas avoir séparé distinctement le moi narrateur du moi personnage. On est vraiment dans le point de vue de ce dernier, écrivant ce qui se déroule tel qu'il le voyait au moment même de l'action.
Ainsi, on ne va avoir aucun recul sur le naufrage mental de la protagoniste, sur le pourquoi de telle réaction ou décision des proches, des connaissances, des médecins, du personnel médical en général. On est plongé la tête la première dans la "normalité" des abîmes de la dépression suicidaire, dans la "logique" des troubles du comportement. On est Esther (ou Sylvia !).
Autant dire que le résultat, de plus admirablement servi par un style fluide et d'une grande force d'évocation, n'en est que plus perturbant et hantant, le fantôme de Sylvia Plath autrice ayant aussi réussi à totalement pénétrer notre esprit d'une manière aussi intense que celui de Sylvia Plath de notre vraie vie, mettant fin à ses jours un 11 février 1963 glacial. Il fallait une sacrée dose de talent pour réussir ce prodige.