Si la Fortune des Rougon était une bonne introduction à la famille et ses personnages, la Curée est l’œuvre parfaite pour commencer à comprendre là où Zola veut nous amener. Ce n'est pas un hasard si le deuxième tome nous plonge directement dans les conséquences les plus abjectes de l'avènement du Second Empire. L'auteur s'intéresse parallèlement aux spéculations frauduleuses provoquées par le grand chantier de Paris du baron Haussman et aux mœurs douteux de la bourgeoisie toute neuve qui en résulte. Il n'a pas peur de mettre tout ça dans le même sac, ça fait choc. Les riches sont dégueulasses, surtout les nouveaux. La Curée n'y va pas avec le dos de la cuillère.
On suit ici les aventures de trois des enfants de Pierre et Félicité Rougon, les bonapartistes de la dernière heure, brillants fondateurs de la branche de la famille attirée par le fric et tout ce qui s'en approche. Si Aristide le cadet est le héros de ce volume, le grand frère ministre (Eugène) et la sœur, Mme Sidonie, restent des personnages secondaires importants. Autour d'Aristide Saccard (qui change de nom pour pas gêner son frère), on trouve nos deux autres personnages principaux : Maxime, son aîné, sorte de dandy androgyne, parfait symbole de la jeunesse dorée qui vit sur les rentes de Papa et surtout Renée, sa deuxième femme, jeune, belle, populaire, riche et manipulatrice. Véritable héroïne du roman, on n'en croise pas souvent des personnages de cette trempe dans la littérature. Une famille pas comme les autres qui invente la colocation dans un immense hôtel du parc Monceau qui sert de décor à des fêtes toutes plus décadentes les unes que les autres.
Zola fait preuve comme d'habitude d'une précision de reporter sur cette société aux mœurs si codifiés dont il ne connaissait rien avant d'écrire le roman. On visualise parfaitement les mets, les danses, les carrosses, les appartements et les toilettes imaginées par le tailleur Worms.
Un roman sulfureux, un drame très familial, une chronique sociale acide, un témoignage éloquent de la corruption et une plongée dans un Paris en plein changement. Il réussit ici l'impossible : en précisant sa cible, en ne s'intéressant qu'à un individu de la famille et son entourage, Zola élargit de manière extraordinaire le champ de ses possibilités pour ses thèmes naturalistes. Tout devient possible.