Ou Duras mon amour.
Quelle façon plus tragiquement belle que de rendre compte d'une telle douleur que par la déconstruction du langage, la fragmentation des phrases comme de l'âme ? Le balbutiement. L'ineffable.
« J'ai encore pleuré, tous les jours je pleure sur l'admirable erreur de la vie. »
Le livre est composé de plusieurs nouvelles, chacune portant sur un personnage réel ou fictif — mais toujours largement inspiré des connaissances de Duras. Les seules qui soient terriblement bouleversantes sont les deux premières, du fait de la proximité qu'a entretenu l'écrivaine avec ces deux personnages : son mari dans un premier temps, dont l'absence ne se fait que plus douloureuse de par son omniprésence au coeur du récit, des pensées de sa femme, et le policier de la Gestapo, Rabier, personnage singulier et dont on arrive difficilement à cerner la personnalité, tant elle semble complexe et torturée. Le déteste-t-on réellement ? Je ne sais pas. Il a pourtant commis les plus horribles atrocités, sans sembler s'en repentir. Je ne sais pas.
La tension entre l’écrivaine et son bourreau est électrique. Le lecteur ne peut que se tourmenter par de multiples conjonctures sur la nature de leurs sentiments respectifs. L’admiration de lui envers elle. La répulsion entre retour. Mais que cache cette admiration ? Veut-il la tuer, ou bien la prendre ? Quand les masques tombent, qui a manipulé l’autre, qui a dominé l’autre ? Cette tension est d’autant plus intenable, à la lecture de ces phrases, parfois ces mots, crus, durs, impitoyables — tout comme l’est la narratrice.
Enfin, la description des années d'Occupation, de la Libération, de la vie, simplement ferait frémir n'importe quel manuel d'histoire tant elle est criante de vérité. L'attente, toujours. Attendre les ordres. Attendre pour le pain. Attendre pour son amour. Attendre sa mort, certaine. Certaine, et bienvenue. Bienvenue, car « en mourant je ne le rejoins pas, je cesse de l'attendre. » Et cesser d’attendre, n’est-ce pas le seul souhait de tout être dépourvu d’espoir ? Car chez Duras, l’espoir semble ne pas exister. Un concept que l’on a oublié. Pourquoi ? À cause de La Douleur, toujours.
En cela, ces textes, dont Duras ne se souvient pas même de les avoir écrits, traitent des limites de l'humain. Les limites de ce que l'humain peut accomplir d’atroce, en la personne de Rabier, comme les limites de que l'humain peut supporter au travers de Robert L. et de Duras elle-même. La résignation revient sans cesse, mais étrangement, jamais elle ne gagne. On continue à vivre, à survivre plutôt. Les personnages supportent ce poids celui comme un fardeau, comme si l’on y était contraint. Dans le même temps, il s’accroche à cette existence, résistent à la mort, Encore. Toujours. Pourtant, la vie n'est pas célébrée. Elle est à la fois rejetée, embrassée, subite, haïe.
Comment célébrer la vie après 1945 ? Ce roman soulève le questionnement, mais n'y répond pas. C'est trop tôt, sans doute. La douleur est encore trop présente.