La Horde du Contrevent est le genre de livre avec lequel on vous bassine les oreilles. Trois, quatre personnes vous rappellent de l'ouvrir, parce qu'il serait fantastique, époustouflant, ébouriffant, virevoltant. On me l'a même offert en double, le destin ayant tendance à s'acharner. Maintenant que je l'ai terminé, je dois dire que je n'ai jamais été aussi embêtée pour noter un livre, hésitant entre 8, 9, 5, 6, entre un peu tout pour un ouvrage qui est aussi brillant par certains de ses aspects qu'il peut être désespérant pour d'autres.
L'univers est d'une richesse imaginative incomparable avec d'autres oeuvres de Fantasy, lesquelles se contentent souvent de reprendre des clichés et des mondes à moitié connus dont la redondance finit parfois par exaspérer et confiner à la caricature. Le contre-coup de l'invention pure, intuitive, émergeant du néant qui a lieu dans la Horde du Contrevent produit une certaine complexité dans le récit qui peut se révéler rebutante dès les premières pages du roman. Après avoir lu les vingt premières pages, je l'ai laissé de côté pendant une dizaine de jours, parce que j'étais incapable d'y revenir tant l'histoire ne m'intéressait pas, ou plutôt, tant Alain Damasio ne me semblait pas avoir fait un seul effort pour que je puisse m'y attacher. Pour lire La Horde du Contrevent, il faut le vouloir, et passer des paragraphes au contenu brumeux, abscons pour ensuite être complètement immiscé dans l'histoire, jusqu'à ne plus vouloir décrocher des pages notées de façon décroissante.
Le style, superbe, exigeant fait déjà de La Horde du Contrevent un roman, un monde à part. Qui l'ouvrira ne pourra plus dire que la fantasy n'est pas de la vraie littérature (je le classe en fantasy, mais je pense que les arguments qui le mettent du côté de la science-fiction se tiennent aussi). Il paraît que dix ans d'écriture auraient été nécessaires pour achever le récit, et le moins qu'on puisse dire est que l'ambitieux projet réussit son tour de force, tant l'originalité est présente en dedans, et en dehors de l'histoire, grâce aux effets de style sur la forme. L'approche par le lecteur est difficile, mais le jeu en vaut la chandelle.
Pour autant, il m'est impossible de crier au génie, à l'oeuvre magistrale. J'ai rarement lu une oeuvre aussi poétique, de la même façon que le livre m'est tombé des mains à la dernière page tant la fin est prévisible, et ce dès le première chapitre, notamment à cause de fioritures dans la pagination. Cette fin pose clairement problème, de par l'absence de surprise qu'elle suscite, mais aussi du message qu'elle renvoie, tant sa logique élémentaire est affligeante d'ennui, de commun dans un livre qui paradoxalement fait beaucoup appel à des éléments mystiques. En somme, je le savais. Je ne voulais pas y croire, parce qu'il y avait quelque chose d'immensément vain, décevant et rationnaliste dans cette tournure qui s'annonçait depuis les prémices. Le problème de cette fin est que sans suite, elle ne signifie rien. Sans suite, elle pose le nihilisme comme seule option quand la fantasy est elle-même un genre empreint de religieux, de religion. En cela, le paradoxe est fort : comment justifier le style beau mais ardu, la somme des connaissances engrangés, des souffrances perçues par les personnages pour un dénouement dont le non-sens supprime toute valeur ? De façon résumée, en une phrase laconique : "tout ça pour ça".
Accessoirement, les glyphes pour indiquer chacun des personnages sont assez mal exploités, et rajoutent de la confusion à l'ensemble. L'idée aurait été géniale si en majorité dans chacun des passages il n'y avait pas autant de dialogues entre les uns et les autres. A quoi sert de perdre le lecteur avec un énième signe si c'est pour finalement ne pas entrer en contact avec la psychologie du personnage en question la plupart du temps ? Procéder ainsi aurait été beaucoup plus complexe, mais il ne servait à rien d'en rajouter une tonne sur la chose. Au même titre que les pages notées à rebours, cela fait partie du superflu, de la poudre aux yeux, d'autant plus que pour être honnête, si le récit, le monde exploité reste unique en son genre, ce n'est pas vraiment le cas des personnages. Les plus intéressants sont probablement de loin Caracole, troubadour sortant des clichés imposés habituellement à sa caste et Golgoth, sombre connard de première qui est à la tête de la Horde. Parmi les autres personnages principaux, Sov et Pietro ne sont pas suffisamment différenciés dans le style, si ce n'est que par facilité on obtient quelques propos lyriques pour Sov parce qu'il est censé être scribe. A noter également la déception au sujet de Te Jerkka dont la puissance et le langage font un peu trop référence à Maître Yoda.
Il m'était finalement impossible de mettre moins de sept tant l'écriture est belle, chantante. Il m'aura été tout aussi impossible de mettre plus de sept, parce que les faiblesses du récit font que La Horde du Contrevent est un bon moment à passer, moment terni par une fin dont le désespoir empêche d'avoir un sourire aux lèvres.