Quand j'ai commencé à lire de la SF féministe, La Main gauche de la nuit est l'un des titres que j'ai vus le plus souvent passer, et bizarrement l'un des livres que j'ai réussi à me procurer le pus tard. D'Ursula Le Guin, j'ai d'abord lu Les Dépossédés qui m'avait laissé une étrange impression : j'étais à la fois séduite par la subtilité des situations décrites, l'intelligence de l'univers qu'elle invente, et à la fois peu engagée vis-à-vis de l'intrigue et des personnages. Le livre m'a marquée et laissée indifférente en même temps. J'ai également éprouvé pour la première fois une impression qui s'est confirmée avec La Main gauche de la nuit : je ne sais pas vraiment pourquoi, la lecture de Le Guin ne suscite pas beaucoup d'images dans ma tête. Quand je pense à des lectures de fiction ou poétiques, des images me viennent immédiatement : des couleurs, des architectures, des corps, des visages, des paysages… mais les deux romans de Le Guin que j'ai lus ne m'évoquent qu'une sorte de barbouillage brun et gris — dans le meilleur des cas, mon souvenir des Dépossédés me rappelle vaguement Solstheim dans Skyrim.
C'est un petit peu différent pour La Main gauche de la nuit. J'avais beaucoup d'attentes à l'égard de ce roman qui reprend des thématiques qui me sont chères, notamment autour du genre. Comme il date de la fin des années 1960, je me doutais bien qu'elles ne seraient pas abordées de la même manière qu'elles pourraient l'être aujourd'hui. Mais l'idée d'une société d'individus de genre neutre, les implications que cela pouvait avoir dans les rapports sociaux, les représentations et même le travail de la langue, tout ceci m'intéressait d'avance. À ce titre, c'est une grosse déception. Cet aspect n'est que peu développé, ou uniquement d'une manière très conventionnelle : les Gethéniens ne sont pas représentés comme des individus neutres mais comme un mélange de masculin et de féminin, sans épargner les stéréotypes les plus basiques. Tout ce qui a trait à la douceur, à la séduction et à la maternité relève du féminin, tout ce qui implique de la force, de la fermeté, du pouvoir est masculin. Par ailleurs et bien qu'il s'agisse peut-être d'un problème de traduction (je n'ai pas eu la VO entre les mains), les personnages supposément neutres sont systématiquement désignés au masculin et appelés "homme", de sorte que je n'ai à aucun moment réussi à me départir de l'impression de naviguer dans un monde exclusivement peuplé de mâles. Je ne pense pas que ce soit le but poursuivi.
Quant à la narration, je l'ai trouvée étonnamment linéaire et dépourvue de tension sans pour autant être contemplative — des événements se produisent mais ne surprennent à peu près jamais. Dès le départ, on sait que l'Envoyé vient sur Gethen pour convaincre l'un de ses gouvernements d'adhérer à une organisation interplanétaire appelé l'Ekumen. Il fait une première tentative qui échoue. Puis une seconde tentative qui échoue. Puis il refait sa première tentative qui fonctionne. Voilà. Les premières interactions avec le gouvernement de Karhaïde montrent que l'adhésion de Gethen à l'Ekumen est un faux enjeu : si Gethen refuse, l'Ekumen renverra des ambassadeurs à intervalles réguliers jusqu'à obtenir satisfaction.
Certains éléments d'univers m'ont tout de même intéressée : la religion Handara et la notion de shiftgrethor, centrale dans le récit, complexe et passionnante. J'ai également apprécié la séquence d'expédition sur le glacier parce que j'adore les récits de survie et d'expéditions polaires. Bilan mitigé donc.