La Maison des Feuilles est une œuvre singulière, sans équivalent à ma connaissance. Elle peut même avoir un côté intimidant, si l’on s’est un peu renseigné avant de plonger dedans. Il faut dire qu’elle bénéficie d’une réputation plutôt flatteuse, de nombreux admirateurs et surtout d’une quantité folle d’analyses sur la toile.
Il ne m’apparaît pas pertinent de me risquer à une tentative d’explication des évènements ou de mise en perspective, les forums et topics dédiés pullulent et sont aussi intéressants à lire que le livre. C’est un premier point qu’il me paraît important de mettre en avant : la lecture de La Maison des Feuilles a très peu de chances de se limiter au livre, c’est une œuvre étendue qui perdure bien après que la dernière page a été lue. Il y a d’abord les pensées qui s’entrechoquent et errent plusieurs jours, puis l’envie d’aller confronter l’interprétation que l’on s’est faite à celle des autres, pour remarquer alors que nombre de détails nous avaient échappé alors que l’on se pensait attentif…
Et puis il y a évidemment les efforts notables de l’auteur pour révolutionner ou à tout le moins sublimer son medium. D’aucuns diront qu’il s’agit de branlette ou que l’utilité du procédé resterait à démontrer ; ne vous laissez pas décourager par ces pisse-froid, il y a un magnétisme à l’œuvre lors de la lecture qui est indéniable et grandement dû à cette sensation de lire quelque chose de nouveau, d’unique, qui ne pourra jamais plus être renouvelé. Et cette mise en forme particulière, dont je ne veux donner aucun exemple pour préserver le futur lectorat, a un sens. Encore faut-il pour le trouver s’affranchir des œuvres déjà lues et de leurs procédés narratifs, encore faut-il accepter La Maison des Feuilles pour ce qu’elle est, une œuvre qui ne ressemble à aucune autre et suit son propre chemin.
L’erreur pourrait être de s’attendre à un livre horrifique. Ne vous laissez pas berner par les articles ou vidéos promouvant le livre comme un chef d’œuvre du genre. Certaines séquences sont inquiétantes, parfois même effrayantes dans ce qui est décrit. Mais ce n’est pas l’ambition de ce bouquin de vous faire frémir. Ou, en tout cas, pas pour les raisons que vous pouvez imaginer.
Plusieurs récits et styles se télescopent et doivent être considérés dans une perspective globale pour en percevoir l’excellence et la magie du procédé. Certes, l’exercice intellectuel est littéralement fatigant, en ce sens qu’il oblige à se déconnecter d’un fil narratif pour se perdre dans des détails techniques, scientifiques, mythologiques ou encore philosophiques, pour enfin revenir dix pages en arrière et reprendre la lecture du fil qui nous intéressait. Mais c’est aussi l’un des objectifs de Danielewski : perdre son lecteur, l’épuiser. Et pour une bonne raison, s’il fallait réellement le préciser.
Cette critique n’a pas vocation à vous inciter à lire le livre, mais à attirer votre attention sur un point : si vous aimez les récits d’un seul tenant, que vous ne supportez pas de devoir jongler de personnage en personnage, que vous détestez les œuvres qui ne vous expliquent pas les choses clairement et leur sens, que vous n’êtes pas très aventureux, que vous avez besoin de repères, que vous aimez la lecture facile (ça commence à faire beaucoup), ce livre n’est probablement pas pour vous. Et ce n’est pas grave, nous n’aimons pas tous les mêmes choses. Mais c’est mieux de le savoir, plutôt que de se lancer dans ce pavé qui va vous éprouver et probablement vous frustrer. Vous pouvez toujours tenter le coup, mais ça me semble important de prévenir.
Par contre, vous pouvez vous tourner vers cette vidéo d’Alt236 qui a proposé une analyse assez détaillée du livre et qui apporte de nombreuses explications.
Et pour ceux qui se lanceront, vraiment, n’imaginez pas qu’il s’agit d’un roman digne d’un Stephen King. Ce n’est pas ce genre de livre. Considérez d’ailleurs la première phrase du livre : « Ceci n’est pas pour vous ».
La note attribuée me semble justifiée, mais elle ne doit pas être décorrélée du fait que j’aime me confronter à des œuvres inhabituelles, complexes, qui me décontenancent et qui ne me brossent pas dans le sens du poil. C’est donc à considérer pour apprécier cette note.