A la fin de Kaputt, Malaparte revient à Naples après un périple de quatre années aux quatre coins d'une Europe ravagée par la guerre. La Peau finit, pour ainsi dire, la guerre, une guerre déjà gagnée, ou perdue, c'est selon, mais qui n'en finit pas de saigner la population d'un continent à genoux. Le roman relate les deux dernières années de la guerre sous l'angle de la campagne d'Italie, campagne d'autant plus cruelle qu'elle a lieu sur les terres natales de son auteur et qu'elle sera au final assez vaine pour le dénouement du conflit.
La Peau, c'est plus du même, dira-t-on, et c'est sans doute assez vrai. On retrouve le même ton, le même style, les mêmes images surréelles lourdement symboliques et bien sûr la même coloration messianique bariolée. Mais dans plus du même, ce que conserve Malaparte, c'est le plus. Tout est plus outré, tout est plus cruel, tout est plus violemment mis en lumière pour illustrer la dimension christique de l'épopée des peuples de l'Europe, descendus au plus profond du gouffre de l'affliction, de l'humiliation et de la soumission pour mourir et renaitre. Ici ce chemin de douleur est celui de la vieille Italie catholique, pays de l'auteur, qui endure avec la cruauté innocente de ceux qui sont parfaitement dépouillés, de ceux qui n'ont plus que leur peau sur le dos. Dans Kaputt il y avait les allemands, Siegfrid cruel, obsédés par la peur, qui ultimement deviennent les instruments de leur propre sacrifice. Dans la Peau il y a les protestants, les américains, dont l'optimisme arrogant est celui des peuples jeunes qui gagnent, qui ne connaissent pas la grandeur modeste du martyre, de la faiblesse et de la défaite.
Malaparte est un écrivain chrétien comme seuls presque les italiens savent encore l'être, fanatiquement, malgré le cynisme, la brutalité et la compromission. Il croit aux vertus fondamentales de la souffrance et de la mort, et par conséquent les vit et les fait vivre plus intensément que n'importe quel écrivain. Pour lui le sang est encore sacré, la vie humaine est toujours ce drame éternel de l'imperfection humaine, le drame de la mortalité. C'est ainsi qu'il transcende l'apparente balourdise de son symbolisme pour en faire le théâtre de la terrible et inhumaine condition humaine.