*Attention aux divulgâchages*
A chaque fois que je termine un livre de Zweig, je suis impressionné par sa finesse, son élégance, sa fluidité mais par-dessus tout par son intemporalité. Si la confusion des sentiments traitait notamment de l'homosexualité avec une modernité sidérante, La Pitié Dangereuse apparaît également comme un roman très actuel. Zweig y décrypte en particulier le sentiment de pitié dans tout ce qu'il a de plus beau et de plus dangereux, en torturant ce pauvre personnage d'Anton. Anton est à première vue un personnage très sympathique : il cherche à aider, découvre l'empathie, et se gargarise de faire le bien auprès de cette riche famille en détresse. Il restera attachant, malgré certains mots très durs pour le personnage d'Edith (beaucoup de comparaisons déshumanisantes comme "animal en cage", "cette pauvre créature"...) mais commettra nombre d'impairs, jusqu'à ce final implacable où il paye toutes les conséquences de ses hésitations, de ses mauvaises décisions et d'une situation qu'il n'a jamais vraiment pu contrôler.
Je crois que ce que j'aime plus que tout dans ce roman, ce sont les différents élans de bonté des personnages : Anton d'abord donc, mais aussi le vieux Kekesfalva qui a pitié de la jeune femme qu'il arnaque ("préférer se laisser rouler que rouler les autres") ou encore le docteur Condor qui se marie avec sa patiente aveugle. Certains passages sont vraiment magnifiques, notamment cette superbe lettre enflammée d'Edith à Anton ("Je ne pourrais pas vivre plus longtemps si tu me refusais le droit de t'aimer").
Si le seul roman de Zweig change assez peu en comparaison de ses nouvelles (une histoire rapportée, peu de personnages...), sa grande réussite est de rendre son récit haletant en le ponctuant de micros drames, de cliffhangers sur des coups de téléphone impromptus, de lettres envoyées par surprise etc... Zweig réussit à créer un rythme incroyable sur 500 pages dans une histoire finalement relativement simple.
Si je ne mettrai pas à la hauteur de la confusion des sentiments, notamment à cause sa fin peut-être moins percutante que d'autres nouvelles, La Pitié Dangereuse demeure un livre magnifique, d'une beauté sans nom, et se lit avec la même fluidité que les autres livres de Zweig.