Le premier roman de Celeste Ng était prometteur en terme de style, mais se dispersait un peu dans d'interminables analyses psychologisantes, occasionnant quelques longueurs.
Avec son nouveau titre, "La saison des feux" (traduction française élégante, pour une fois), la romancière américaine corrige le tir, proposant une chronique sociale d'une rare pertinence, excellant dans l'art d'esquisser des personnages authentiques, autour d'une intrigue beaucoup plus accrocheuse.
Le cadre du récit fait l'objet d'un soin particulier : en effet, Celeste Ng a grandi à Shaker Heights, cette "communauté" progressiste en banlieue de Cleveland, créée au débit du XXème siècle par de riches familles soucieuses d'élever leurs enfants dans des valeurs positives, loin des dangers de la grande ville. Cette base autobiographique se ressent dans la description parfois sarcastique de cet univers formaté, règne des apparences et des innombrables règles de vie.
La description de la famille Richardson se révèle remarquable, de la mère bien-pensante à la benjamine révoltée, en passant par l'aînée populaire, et les deux frères antagonistes (le jock insouciant et le nerd timide).
Des archétypes, certes, mais suffisamment nuancés pour apparaître totalement crédibles.
Ng oppose à ces citoyens modèles une famille noire monoparentale beaucoup plus modeste, composée d'un mère artiste au tempérament vagabond, et de sa fille adolescente, rendue introvertie par leurs nombreux déménagements.
Lorsque les deux familles vont faire connaissance, chacune des deux filles va suivre parallèlement une trajectoire croisée, fascinées respectivement par le mode de vie de leurs voisins...
Même si l'action se situe dans les années 90, cette confrontation permet à l'auteur d'aborder de nombreux thèmes qui embrasent la société américaine contemporaine, tels que le racisme, le communautarisme, les inégalités sociales, les débats relatifs à la notion de maternité (adoption, GPA, avortement...)
Dommage que Celeste Ng se montre parfois moins inspirée lorsqu'elle s'éloigne de ce canevas central (cf la mésaventure de la méchante prof alcoolique, le parcours de vie de Mia avant son arrivée à Shaker Heights...).
Le dénouement m'aura également frustré à certains égards, par son absence de confrontation finale entre les protagonistes, notamment.
D'autre part, l'auteur prend trop parti à mon goût en faveur de Mia - qui n'est autre que son propre avatar (artiste, issue d'une minorité, ouverte sur le monde) - face à la "méchante" Elena Richardson, déséquilibrant un récit qui se voudrait objectif et distancié.
A noter pour finir que "Little fires everywhere" a fait l'objet d'une adaptation télévisuelle, avec Reese Witherspoon et Kerry Washington dans les rôles principaux.