La mini-série tournée à partir du livre de Svetlana Alexievitch était prenante, bien faite, permettait de passer un bon moment tout en rafraîchissant les connaissances qu’on pouvait avoir des terribles événements qui se sont passés à Tchernobyl. Mais c’était une fiction, finalement bien confortable pour qui refuse d’affronter l’horreur en face…
Le livre « La supplication » dont j’utilise le sous-titre pour titrer mon propre texte est une épreuve. Mais on peut ressentir comme un devoir de se l’imposer.
Comme « Les cercueils de Zinc », du même auteur, le livre, plus essai que roman, est constitué d’une suite de témoignages des survivants et de leurs proches.
Où est la littérature ?
Partout.
Dans la succession et l’agencement des témoignages de vie, passant du plus humble paysan au scientifique informé, la voix de l’écrivain est partout. C’est elle qui conserve la parole de ceux qu’on a fait taire, c’est elle qui garde la mémoire de ces vies minuscules qu’on a voulu croire héroïques mais qui étaient simplement humaines, utilisées comme des pions par un état condamnable.
Il a envoyé de jeunes hommes, les liquidateurs, à la mort – certes, il n’est pas le seul…- mais en leur faisant croire qu’ils faisaient une tâche banale, parfois sans aucune protection ; et il a acheté leur vie et leur longue agonie pleine d’horreur avec des médailles et un salaire gonflé. Il a laissé des enfants jouer sur le sol contaminé, des paysans se protéger d’un simple imperméable, profitant de leur ignorance. Pendant les jours qui ont suivi l’explosion du réacteur, il a exhorté le peuple à ne pas écouter les quelques scientifiques courageux qui ont voulu les alerter sur ce qu’ils risquaient, auxquels on confisquait les instruments de mesure de la radioactivité : « surtout pas de vagues, ne semez pas la panique ! »; on menaçait ces derniers des pires représailles tout en refusant de distribuer les stocks de pastilles d’iode pour ne pas affoler la population.
Il y a presque pire que la catastrophe de Tchernobyl : c’est son traitement par les dirigeants du pays.
Beaucoup de témoignages font le parallèle entre la guerre et cet accident qui a mené et mène encore un nombre incalculable d’humains à la mort. Cette dernière est pourtant selon eux moins lourde de conséquences car, même vaincu, l’homme connait son ennemi, sait pourquoi il se bat. Ici, on est au-delà du sens.
Tchernobyl a marqué le point de non retour de l’homme détruisant son milieu : l’homme en guerre contre lui-même, en tant qu'espèce.
« Pourquoi avons-nous gardé le silence alors que nous savions ? Pourquoi n’avons-nous pas crié sur la place publique ? Nous avons fait des rapports, écrit des notes explicatives, mais nous nous sommes tus. Nous avons obéi sans un murmure parce qu’il y avait la discipline du parti, parce que nous étions communistes. Je ne me souviens pas qu’un seul des employés de l’institut ait refusé d’aller en mission dans la zone. Pas par peur d’être exclu du parti. Parce qu’ils croyaient. C’était la foi de vivre dans une société belle et juste. La foi que l’homme, chez nous, était la valeur suprême. Pour beaucoup de gens l’effondrement de cette foi s’est soldé par un infarctus et des suicides, comme l’académicien Legassov ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Valeri_Legassov) … Parce que, dès que l’on perd la foi, on n’est plus un participant, on devient un complice et l’on perd toute justification.
Marat Philippovitch Kokhanov, ancien ingénieur en chef de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie » ( J’ai lu p. 165)