Si j'apprécie autant les thrillers de Jean-Christophe Grangé, c'est principalement grâce à trois ingrédients, que l'on retrouve dans une majorité de ses romans :
- une écriture inimitable, avec un style moderne et dynamique faisant la part belle à l'oralité et aux termes issus de l'argot et du verlan
- des intrigues à suspense parfois tarabiscotées, parfois invraisemblables, mais toujours captivantes et bien construites
- un goût du voyage - Grangé étant un ancien reporter - qui se traduit par des descriptions à la fois hyper réalistes et souvent poétiques des terres lointaines explorées : Amérique du sud ("La forêt des mânes"), Asie ("Kaïken"), Afrique ("Congo Requiem")…
Dans "La terre des morts", le lecteur va devoir renoncer à la fois au dernier point (tout le récit se déroule à Paris, à l'exception de brèves escapades à Londres et Madrid) mais surtout au deuxième, puisque Grangé nous propose indiscutablement l'intrigue la plus foireuse de toute sa bibliographie.
Certes, on ne le réalise que tardivement, puisque pendant longtemps, la trame scénaristique apparaît très classique (une énième traque de serial killer) mais intrigante et plutôt bien conçue, jalonnée de personnages au goût de déjà-vu mais un minimum fascinants, à l'image du suspect numéro 1, un ancien violeur, adepte de pratiques S-M, devenu égérie de l'art contemporain après 17 ans de cabane.
On finit toutefois par remarquer avec agacement que l'intrigue tourne en rond, et surtout, une fois parvenu à la fin du roman, on constate à quel point l'édifice narratif se révèle bancal, Grangé ayant multiplié les incohérences (scénaristiques, psychologiques) et autres invraisemblances majeures au sein d'une affaire ridiculement sophistiquée.
Pour sauver les meubles, reste donc l'écriture, le style Grangé : et là, il faut reconnaître que le romancier francilien est en pleine forme, nous offrant pratiquement une punchline à chaque page : humour grinçant, réflexions désabusées, références culturelles bien senties, coups de gueules un brin réac', disgressions diverses et variées... L'amateur de Grangé en aura pour son argent, tant le bougre se lâche et soigne son style, faisant montre d'autant d'inspiration sur la forme que de désinvolture sur le fond.
Ma conclusion sera donc paradoxale : Grangé nous pond son roman le plus mal branlé, et pourtant je ne me suis pas ennuyé une minute à la lecture de "La terre des morts".