Malgré quelques défauts : un peu trop de répétitions, un style assez plat avec quelques facilités qui tombent dans le cliché, c’est un livre prenant et qui a le mérite de poser de nombreuses questions.
Une question, ou plutôt une interrogation littéraire tout d’abord. Jablonka l’a exprimé en une jolie phrase au tout début de son récit ; « j’essaie d’enregistrer dit-il, à la surface de l’eau, les cercles éphémères qu’ont laissés les êtres en coulant à pic ». Son roman devient ainsi un tombeau pour cette jeune fille assassinée en Bretagne en 2011 par un multirecidiviste petit délinquant devenu un tortionnaire pour cette jeune fille de 18 ans qu’il a tuée puis démembrée. Cette volonté de reconstituer la vie de cette petite serveuse au début de vie chaotique est une belle démarche. Seulement elle interroge sur cette tendance de plus en plus présente au sein du genre romanesque d’écrire des « romans vrais » ou la fiction est chassée comme une inconvenance. Plusieurs fois d’ailleurs, Jablonka manquant d’informations sûres, donne plusieurs hypothèses en s’excusant avec insistance d’avoir recours à la fiction.
On est loin des Semprun, primo Levi ou Elie Wiesel qui revendiquaient avec virulence la nécessité de passer par la fiction pour mieux permettre d’appréhender l’horreur des camps de concentration.
Autre interrogation , cette fois sociologique. Laetitia nous révèle l’existence d’une France on ne peut plus humble, celle des enfants mis en famille d’accueil, qui abandonnent très tôt leur scolarité avec un niveau extrêmement faible. Jablonka cite des écrits de cette jeune fille, qui plus est dyslexique, qui montrent son extrême difficulté à s’exprimer. Petite, elle s’est d’ailleurs renfermée sur elle-même, accusant un retard notable, tant intellectuel que physique. Le milieu violent dans lequel elle a vécu l’a tétanisée et a eu des conséquences préjuduciables sur son développement. Ce retard n’a pas été corrigé par l’Education Nationale. Cependant, elle avait passé un cap et commençait à exercer le métier de serveuse. Jablonka souligne qu’elle « s’en sortait », mais est-ce cela, s’en sortir ?… On peut s’interroger sur une société qui promet à un certain nombre de ses enfants un avenir aussi peu réjouissant, qui loin d’aider les enfants en difficulté à s’en sortir, les cantonne dans un milieu social sans espoir d’en sortir…On a vraiment l’impression en lisant l’auteur que ce milieu où règne l’alcool, la drogue, les abus de toutes sortes, y compris sexuels ( je précise que Laetitia et sa sœur ont été violées par leur père d’accueil après avoir subi la violence physique de leur père envers leur mère devenue dépressive sous tutelle), ce milieu donc, peut donner des jeunes serveuses suppliciées comme des assassins sans remords ( Tony Meihlon, son meurtrier venait du même milieu qu’elle…)
Nous ne sommes pas au XXI éme siècle, il y a moins de 10 ans. Le roman Laetitia de Jablonka, historien rigoureux, nous donne à voir de l’intérieur un aspect de notre société assez dissimulé, souvent laissé dans l’ombre, celui des laissés pour compte qui n’a rien à envier aux pauvres du XIXème siècle.
A lire en écoutant "La jeune fille et la mort " de Schubert : https://www.youtube.com/watch?v=ESbIqF0Cx5k