Quand la détresse émerveille
On m’avait recommandé Lambeaux, en me faisant simplement lire l’avant-propos de l’auteur. Trois-quatre pages, et j’étais déjà séduite par la poésie du langage de Juliet, presque envoutant. Et puis le principe également, d’écrire une autobiographie basée sur la vie de ses deux mères, semble être une idée intéressante. Bref, c’était un ouvrage qu’on m’avait chaudement recommandé et je dois admettre que je n’ai pas été déçue.
L’auteur nous raconte ses mères, d’abord cette mère naturelle, si touchante dans son monde un peu trop rude, et beaucoup trop aride en connaissances à lui offrir, dont le destin tragique laisse forcément une impression amère. Son sentiment d’égarement, son angoisse, ce vide autour d’elle, on comprend peu à peu qu’en plus d’être celui d’une mère, il est aussi celui d’un fils. Comme un héritage maudit, cette soif de connaissances.
Le « tu » place cette mère sur un piédestal où personne ne viendrait s’aviser de la déloger. C’est une mère qu’on célèbre ici. Plus, c’est la souffrance, le deuil d’une mère que l’on partage.
Lorsque Juliet en vient à demander pardon, pardon d’avoir été l’enfant de trop, celui qui se croit responsable de la mort de sa mère, de son épuisement, on aurait envie de lui hurler que ce n’est pas sa faute. Que la mort de sa mère, ce n’était pas lui, non, mais juste la vie, la guerre, l’injustice. Juste le vide. Et cette quête d’une perfection qu’elle désespérait de ne pouvoir atteindre.
Et puis la deuxième mère, adoptive, celle qui fut réellement connue, celle qui ne fut qu’amour. Celle qui offrit le confort d’une famille, pauvre mais aimante. Celle qui lui permit de vivre sa vie, parce qu’elle n’était que sacrifices. Pour tous ses enfants et même ceux adoptés, d’ailleurs.
S’ensuit le récit de l’adolescence militaire. La fin de celle-ci, les tentatives d’un homme qui se cherche, et qui se heurte toujours à cette volonté d’écrire qu’il peine à faire aboutir. Lui aussi s’avère rechercher cet idéal impalpable, impossible à définir en dehors du mal-être qu’il entraine. Et toujours ce « tu », comme s’il voulait éloigner cet autre moi de celui qu’il est aujourd’hui, comme une distance nécessaire pour mieux s’écrire. L’homme d’avant la révélation, celui qui n’avait pas encore su écrire son amour à deux mères admirées.
Ce petit livre, c’est indéniablement un bijou. Le résultat d’une écriture ciselée par le travail, une écriture emplie de poésie. Et cette écriture d’où émanent tant d’émotions, c’est finalement une magnifique façon de rendre hommage à deux femmes aimées.