Charles Juliet rend hommage à ses deux mères. La première celle qui l'a mis au monde et qu'il n'a pas connue, morte de faim dans l'asile où elle a été internée à la suite d'une tentative de suicide. L'auteur n'a qu'un mois lorsqu'elle attente à ses jours, et il est heureusement recueilli par sa deuxième mère. Celle-ci, malgré une famille déjà nombreuse, accepte de prendre en charge cet enfant supplémentaire, et de lui donner tout l'amour qu'il peut espérer recevoir.
Ce livre se découpe en deux parties. Dans la première, Charles Juliet tente de donner une voix à sa première mère. Il nous fait partager son enfance, ses nombreuses désillusions, son mariage décevant, son épuisement suite à quatre maternités trop rapprochées. Puis, dans un second temps, il retrace son parcours personnel dans sa famille d'adoption et comme enfant de troupe, et enfin il raconte comment il en est venu à l'écriture en général, et à celle de "Lambeaux" en particulier.
Si je pouvait décomposer ma note, ça donnerait 9 pour la première partie, et 6 pour la seconde. Le récit de la vie de sa mère biologique, cette femme qui a eu le tort d'être dépressive à une époque où cela était considéré comme une maladie mentale est bouleversant. Sans l'avoir connue, Charles Juliet réussi pourtant à lui témoigner un amour incroyable. Il saisit à pleine main tout le tragique de cette existence, qui aurait sans doute pu être toute autre si elle était née ailleurs. Le personnage qu'il nous dépeint est magnifique, à la fois vivant et touchant.
En revanche, le récit de la vie du jeune Charles m'a moins touché. Là où la première partie faisait une large place à l'émotion, la seconde est beaucoup plus cérébrale, réflexive. Tout le passage sur ses années en tant qu'enfant de troupe m'a donné l'impression de lire une version et abrégée de "L'Année de l'éveil". C'est pourtant un texte intéressant, où l'on voit l'écriture en train de se faire, et en même temps comment elle influence la vie de celui qui écrit (ce livre étant pour Charles Juliet une forme de thérapie, qu'il a mis plusieurs années à écrire, et qu'il n'a pu terminer que lorsqu'il a été capable d'affronter la souffrance que faisaient remonter en lui tous ces événements). Mais il n'est pas aussi poignant à lire que la première partie.
Malgré cela, "Lambeaux" reste une belle découverte, et c'est à lire, ne serait-ce que pour savourer la magnifique écriture de Charles Juliet. Il fait partie de ces auteurs qui savent donner à leur propre existence une valeur littéraire et universelle, et qui sont capable de faire de leur autofiction une oeuvre d'art.