Avant le Desperado, Mocky, le cinéaste un temps vaguement affilié à la Nouvelle Vague mais vite relayée dans les bas-fonds bis d'un cinéma franchouillard anarchisant hors-normes, quelque part entre Chabrol et Max Pécas, s'était racheté le miteux cinéma bis nommé Brady pour y diffuser ses propres films - que plus personne ne voulait diffuser ailleurs à son corps meurtri mais jamais abattu. Comme il y passait également trois nanars ou bobines incongrues par jour dans l'autre salle de projection pour la modique somme d'un ticket unique, le lieu était avant tout devenu d'accueil de sans abris venus s'y réchauffer ou pioncer au son des westerns douteux ou autres slashers rapiécés à partir de différentes pellicules scotchées à la va-vite par des producteurs opportunistes. Ajoutons à ce cocktail savoureux un peu de prostitution extra-muros s'immiscant de plus en plus, un quartier cosmopolite bariolé au cœur du Xème arrondissement et un bordel littéral de vieux maghrébins venus jouer à touche-pipi au milieu du chaos pour saisir à quel point la mèche a besoin de peu qu'il devienne Molotov.
Plus encore que pour ses anecdotes saillantes sur le cinéma bis à la Mad Movies (ou Bon Chic Mauvais Genre ou Absurde Séance, big up lillois et nantais), émanant sans surprise d'un étudiant en cinéma devenu projectionniste (l'auteur donc), plus encore que pour l'analyse transversale forcément striptease-sque (l'épisode idoine est évoqué au détour d'un paragraphe lapidaire) de l’œuvre de Mocky accolé sa personnalité hors-normes de filou mégalo au grand cœur, cet amusant essai vaut pour sa dimension anthropologique inattendue. Avec un sens de l'observation aiguisé et un goût pour l'analyse étayé ici ou là par quelques données cadrant le réel comme il faut (à gauche donc), Thorens dépeint avec tendresse et amusement les frasques de sa faune d'éclopés hauts en couleurs, non sans dépeindre in fine leur fonctionnement rituel, leurs codes implicites, leur sens de l'honneur en propre. Dans une sorte d'épilogue contextuellement convenue mais tout de même subversive, il en vient en bon sociologue de facto à relativiser la norme des clients de l'UGC pour lequel il travaillera ensuite, pas forcément plus équilibré que ses SDF branques, et pas forcément plus sympathiques... Avec son style simple mais espiègle aux entournures, qui refuse également le pathos en optant pour un regard personnel empathique mais sans complaisance particulière, Thorens signe un objet littéraire qui vaut le détour par les bas-fonds les plus mal famés de la capitales.
Réservés à ceux qu'intéressent également, sans hiérarchie préconçue, à Nanarland, aux OFNI (Objets Filmiques Non Identifiés) de Mocky, aux écirts Levi-Strauss et à l'émission Striptease.