Note de lecture provisoire avant la fin de la trilogie, ou du roman coupé en trois ? L'hésitation est précisément là.
Rendu à la fin du tome II, force est de constater que c'est à un bien curieux projet que nous convie Jaworski avec ce (mal?)-nommé Chevalier aux épines, dont il faudra très certainement attendre la partie III avant d'en tirer un avis conclusif et bien définitif.
14 ans après le mythique Gagner la guerre qui a, en large part au sein de la bibliographie de Jaworski, intronisé son auteur comme la voix la plus importante de la fantasy française contemporaine, celui-ci se donne la lourde tâche de poursuivre l'intrigue de son célèbre roman impérialo-venisiano-capédépien dans le duché voisin de Bromael qui sera l'occasion pour l'auteur de jouer avec une influence culturelle qui lui parle tout particulièrement : les romans courtois.
Si le premier tome du Chevalier aux épines se donnait pour objectif principal d'étendre l'histoire d'Aedan de Vaumacel, le héros principal d'une précédente nouvelle de Jaworski, en nous faisant longuement baigner depuis une multitude de points de vue dans les règles complexes qui régissent les « coutumes » en usage dans les différentes cours de son duché médiéval fictif, la suite de l'histoire se proposera ici de donner le point de vue opposé en nous collant à la focalisation de Benvenuto, héros de Gagner la guerre et étranger ignorant en ces terres, qui aura bien des peines à mener ses diverses missions contrecarrées à la fois par l'incompréhension des mœurs locales et par des forces plus occultes qui demeurent en coulisses et occupent la méta-histoire des deux romans.
La seule présentation laborieuse de ce dispositif romanesque compliqué suffit déjà à décrire les qualités profondes et le caractère très interpellant que peuvent tout à la fois montrer ces deux tiers achevés du Chevalier aux épines.
Jaworksi semble s'être donné avec cette saga une liste de perspectives qui ne paraissent pas toujours bien s'accorder entre elles et qu'il s’avérera, en l'état, relativement complexe à boucler dans un tome III dont on peine quelque peu à percevoir la future unité. Est-ce que le Chevalier est une suite des aventures de Benvenuto ? Est-ce une exploration passionnée d'un univers chevaleresque avec lequel Jaworski se plaît, à son habitude, à pasticher les références savantes ? Est-ce une méta-histoire post-apocalyptique et vaguement zombie de dévastement du monde par des rites interdits ? Est-ce une compilation de joutes oratoires dans lesquelles, comme à son habitude, l'auteur excelle le plus stylistiquement ? Est-ce une réflexion sur la force et la possibilité de la parole, du discours littéraire face à son éventuelle capacité à transformer le monde ?
C'est tout cela à la fois, et l'écriture de Jaworksi a toujours eu ce caractère bordélique et labyrinthique – on appréciera Borges mis en exergue ainsi que la description fascinante des deux châteaux en forme d'architecture impossible, piranésienne – ; mais, en général, une ligne de force permet à ses sagas de conserver un fil rouge parfois brutalement imposé mais qui demeure.
Ici, et pour l'instant rendu aux deux tiers, ce n'est pas le cas, et ce n'est guère la non-importance totale de ce pauvre Aedan dans ce tome II (en tant qu'acteur du moins) qui permettra d'utiliser le titre pour se tirer du guêpier.
Pas d'erreur, l'écriture de Jaworski est incroyable. Si on excepte le chapitre 1, j'ai lu les 500 autres pages d'une traite aujourd'hui ne m'interrompant que pour déjeuner, ce qui ne m'arrive plus tellement prenant de l'âge ; c'est un écrivain absolument fascinant et talentueux.
Mais, ici, est-ce que la couture tiendra ? Pas sûr.
Pari à prendre.