Cinq-cents mecs comme moi arriveraient-ils seulement à atteindre un millième de lettre d’une phrase de Proust ? Non. Le talent est trop immense, et lors de la lecture de ce troisième tome, on se rend compte, encore une fois, que l’on n’est vraiment pas taillés du même bois que Marcel.
Le Côté de Guermantes, c’est une séance de sport intensive pour l’esprit : il ne s’achève pas une seule session de lecture sans que nous en ressortions lessivés, anéantis au niveau de l’intelligence et de l’amour-propre par le style, la vision, la limpidité, les références culturelles, l’aisance littéraire du bougre moustachu.
Pas une seule fois, lors de mes lectures quotidiennes de l’œuvre, je ne suis ressorti apaisé. Ma curiosité était systématiquement excitée par des tableaux à découvrir, un peintre à connaître, des livres à lire, des monuments sur lesquels me renseigner, etc. Et ça, c’est pour la partie disons culturelle, parce que la partie purement lettrée est encore pire ! Que de vocabulaire enrichi, de tournures de phrases merveilleusement pertinentes, d’analyses profondes du fonctionnement humain, et j’en passe. C’est assommant.
Ce tome est d’ailleurs réputé pour être le plus assommant de tous, les nombreuses et longues errances descriptives consacrées à la branche de Guermantes, aux dîners ou, pour résumer, à leurs occupations mondaines en ont rebutées plus d’un. Et il y a de quoi, c’est réellement long, très long et fastidieux. Les estocades verbales qu’ils adressent entre eux, leur hypocrisie, leur antisémitisme primaire et fumant leur suffisante étouffante de gourmandise font office de sel pour relever un peu le plat gargantuesque servi par le narrateur, mais ça reste tout de même indigeste.
Mais toute la lourdeur, si je puis dire, décrite plus haute est fortement atténuée par les passages encore infiniment romantiques (au sens artistique) délivrés par Marcel. Son analogie de la mémoire, la mort de sa grand-mère, (« Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du moyen-âge, l’avait couchée sous l’apparence d’une jeune fille »), la découverte de la sexualité avec Albertine ou ses nombreuses digressions au sujet de la dichotomie entre désir et pensée.
Dans ce tome, la beauté côtoie le sarcasme, on sent que le narrateur est partagé entre l’admiration qu’il voue à la noblesse et notamment à Oriane, et la vision moqueuse qu’il en a. Il aime les taquiner et les dépeindre de manière humaine et médiocre, tout aristocrates qu’ils sont. Mention spéciale pour Françoise (je crois) et sa diatribe méprisante envers un poète qu’elle décrit comme vain et médiocre, poète qui n’est autre que Victor Hugo !
Je reste encore pantois face à l’intervention de Charlus qui, voulant secrètement tartiner le narrateur innocent et encore dupe, le foudroie de son mépris avec une prose qui est juste à se damner et se rouler par terre en même temps ! Il y a, simultanément, la gouaille, le mépris, le désir refoulé et la frustration, le tout dans un langage absolument divin.
Alors oui, c’est long, il faut s’accrocher parfois, mais le résultat final est encore époustouflant. Marcel Proust est un monstre. Nous ne sommes pas taillés du même bois, mais alors pas du tout !