Sur un coup de fil surprise du Vatican, Eric-Emmanuel Schmitt accepte de suspendre l’écriture de son cycle La Traversée des Temps, dont le troisième des huit tomes est paru l’an dernier, pour une visite en Terre Sainte et, peut-être, la publication d’un journal de voyage.
Lui que l’étude des Evangiles et l’expérience du désert du Hoggar ont convaincu de croire au mystère divin – lui inspirant au passage plusieurs livres comme L’Evangile selon Pilate et La Nuit de Feu –, mais qui, peu assidu des églises, observe la liturgie chrétienne avec des yeux de « poisson rouge », débarque donc à l’aéroport de Tel-Aviv pour, passablement décontenancé, rejoindre à Nazareth un groupe de pèlerins réunionnais, menés par le père Henri et la guide Guila. Bardé de sa bonne volonté et de ses carnets de notes qu’il noircit studieusement, le voilà lancé dans le circuit habituel du pèlerinage en Terre Sainte, avec en point d’orgue la découverte de là « où tout a commencé » : Jérusalem.
L’érudition et la qualité de réflexion de l’écrivain se mêlent à sa sincérité pour un compte-rendu souvent aussi drôle qu’intéressant, tandis que ses observations le conduisent d’une certaine frustration – entre contagion du béton, tohu-bohu urbain et flots de bimbeloterie à destination des hordes de touristes, « l’unique berceau de l’extraordinaire est l’ordinaire » – à une franche irritation – « Quand je lis les récits de voyageurs anciens, tels Chateaubriand, Lamartine, Loti, je les jalouse d’avoir foulé des sites vierges » –, et même à de vraies bouffées de rejet – « Que fais-je ici ? La dérision me gagne. Mon esprit voltairien commence à persifler, jugeant ce spectacle aussi navrant que ridicule » « L’envie de déserter cette mascarade me ronge. Je ne m’estime ni en résonance ni en sympathie avec ceux qui m’encerclent, j’aspire à récupérer ma liberté, ma rationalité, mon autonomie. Maillon de cette chaîne de bigots, moi ? Quelle prison ! Je vais m’extraire de ce rituel imbécile. »
Pourtant, à sa plus grande stupéfaction, alors que, s’appliquant à suivre sans broncher le parcours programmé, il se prend insensiblement à lâcher prise, ce n’est pas moins qu’une vraie révélation, l’incompréhensible expérience d’une évidence rappelant le « Il fait Dieu » de Didier Decoin, qui l’attend au détour de ce voyage dont il reviendra confondu et bouleversé.
L’on reste durablement impressionné par ce texte intelligent et sincère, qui sertit si bien l’extrême intimité d’une expérience spirituelle à corps défendant dans la sage objectivité d’observations et de réflexions historiques, politiques et philosophiques, en tout point captivantes. Voilà un écrivain que l’on ne se lasse pas de lire et d’écouter, fasciné par son érudition, son humanité et… son carnet d’adresses où figure désormais le Pape François à qui l’on doit la postface de ce livre. Coup de coeur.
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