Je m'attendais à un roman sur le temps suspendu, c'est essentiellement un roman sur le temps qui passe, qui fuit, qui nous file entre les doigts par attente ou espoir d'autre chose, par erreur. L'événement qui changerait la donne n'étant pas survenu, on a perdu son temps, pire : sa vie, ou plutôt on est passé à côté d'une tout autre vie.


Angustina est peut-être le personnage qui agit le mieux, lui qui prend les devants et réussit à mourir en héros en l'absence d'événement, se créant, en quelque sorte, sa propre guerre (dès son choix de porter des chaussures inadaptées pour le terrain), saisissant l'occasion dans la presque banalité, dans le déjà connu ; il sublime ainsi sa mort, la rendant semblable à un tableau. Il ne compte plus sur un quelconque coup de théâtre, sur des Tartares ex machina qui lui changeraient la vie, ni sur rien d'autre d'extérieur à sa seule volonté.


J'ai retrouvé la patte de Buzzati que j'avais appréciée dans ses nouvelles, à travers cette sensibilité avertie, fraternelle, devant les drames et les risques de l'existence, à travers les thèmes abordés (fuite du temps, vieillesse, amours manquées, absurdité…), et également dans le côté "nouvelle" de l'œuvre, sa concision, sa grande économie de détails ; j'en espérais peut-être davantage au niveau descriptif, et à quelques reprises pendant ma lecture je croyais que le moment était venu de s'attarder un peu plus sur le paysage, les lieux, à grand renfort de détails – et finalement non et c'est très bien : les descriptions sont suffisantes, évoquant des morceaux de peintures simples d'où ressortent les couleurs dominantes, la chaleur et l'ambiance, que des traits de détails auraient brouillées.


Cette économie concerne tous les éléments, décors, actions, personnages, et participe à donner une sorte d'équilibre irréel à l'œuvre, sa part d'onirisme, comme si un rêve nous était conté davantage que si l'on voulait vraiment nous rapporter les faits logiquement intéressants / importants dans le contexte.


C'est une œuvre qui a quelque chose de minimal, d'essentiel, de facilement transposable à l'existence du lecteur ; une leçon, ou une perplexité, sur nos choix de vie et ce qu'ils comprennent de risque de ne pas vivre, de renoncement pour rien.


Un conte grave pour une lecture à la fois agréable, dérangeante et salutaire.

Lerne
9
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le 12 mars 2022

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Lerne

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