Sans doute est-ce un roman qu’on lit mieux qu’auparavant, maintenant que le parfum de scandale qui l’a longtemps entouré s’est dissipé, et qu’on ne s’offusque plus de la relation amoureuse qu’il raconte. Pour autant, une fois ces considérations morales évanouies, il reste difficile de ne l’apprécier que pour ses qualités intrinsèques, sans prendre en compte la biographie de l’auteur : comment diable, me suis-je dit souvent, Radiguet a-t-il pu écrire pareil livre à dix-sept ans ?
En effet, il fait preuve d’une maturité et d’une lucidité dans l’analyse psychologique tout à fait frappantes. Au vu du sujet, on croit, en commençant le roman, qu’on lira une histoire d’amour toute chargée de passion et de sentimentalisme. Au contraire, Radiguet brosse un portrait sans concession de cette relation adultère et plus encore du narrateur, adolescent trop précoce, qui soumet sa maîtresse à ses désirs d’homme et à ses caprices d’enfant, et dont l’amour, bien peu généreux, dévoile un égoïsme fondamental.
La concision du style de Radiguet le rapproche de celui des grands romans d’analyse psychologique comme La Princesse de Clèves ou Adolphe, tout en construisant des images saisissantes par leur beauté et leur intensité : celle de la servante folle sur un toit, et dont le sort tragique sert de divertissement aux bourgeois, est fascinante.
Tout au plus regrette-t-on, dans cette remarquable réussite, un goût parfois un peu gratuit pour les bravades propres à choquer le public de son époque, ou la tendance à tirer des vérités générales quelquefois assez discutables des péripéties des personnages.
La préface d’André Berne Joffroy figurant dans mon édition est médiocre, peu rigoureuse et très datée.