Un étrange objet littéraire qui commence comme une satire politique des dessous de la 3e République et de l’Affaire Dreyfus pour se transformer, dans un récit enchâssé, en une variation paroxystique sur toutes les thématiques du roman décadent. Dans le Jardin des Supplices, lieu fantastique au cœur d’une sordide prison de Chine, la volupté et la souffrance se confondent, le narrateur suivant une femme aimée dans ce jardin où l’opulence presque obscène des fleurs (Des Esseintes aurait apprécié) répond aux raffinements les plus extrêmes de tortures sanglantes, que Miss Mary se plait à contempler quand elle n’y participe pas elle-même avec un plaisir glaçant.
L’écriture, élégante et luxuriante sans verser dans une préciosité trop excessive, est également typique de ce roman fin-de-siècle qui fait son miel de la charogne et de la déliquescence. Pas tout à fait gratuite néanmoins, cette débauche de cruauté et de noirceur vient compléter les propos tenus par le narrateur au début du roman à propos de la bonne société de la troisième république : l’espèce humaine vit inévitablement sous la « loi du meurtre » et le récit des supplices chinois n’est finalement que l’écho exotique et outré de ce que notre civilisation produit avec la même absence totale de scrupules.