Philip K. Dick est l'un de mes auteurs de SF préféré avec Asimov pour ne citer que lui. Etant cantonné dans la plupart de mes lectures de K. Dick à des nouvelles (qui, pour la plupart sont de véritables petites perles), je me suis, pour changer, penché sur ce livre que l'on considère comme son premier grand succès.
Le pitch de base est simple, efficace, mais surtout, nous fait réfléchir sur notre monde ainsi que sur la réalité qui nous entoure. Il suppose, dans ce monde parallèle, que l'issue de la Seconde guerre mondiale ne soit pas la même que celle qu'on lui connait, à savoir qu'ici, les grands vainqueurs ne sont autres que le Japon et l'Allemagne Nazie. Déjà, sans lire une ligne du livre, l'évocation de ce monde comme qui dirait ''inversé'' au nôtre à de quoi attiser l'imagination tout en nous plongeant dans une certaine forme d'étrangeté. On commence alors à partir dans une longue réflexion sur l'effet papillon ainsi que sur la fragilité de la réalité telle qu'on peut la vivre. On y a tous déjà plus ou moins pensé. On pose notre regard dans le vague et on se demande alors : "Mais c'est vrai ça, comment serait le monde s'ils avaient gagnés la guerre ?". Le livre, selon moi, y répond d'une excellente façon en jouant jusqu'au bout sur les parallèles et les faux semblants. K. Dick va même y introduire un pont sous la forme d'un livre dans le livre, parlant d'un monde où cette fois-ci ce serait les Anglais et les Américains les grands vainqueurs de le guerre. Si l'idée de base nous parait surprenante, dans le modèle inversé, pour les protagonistes, la surprise est tout aussi importante. L'Uchronie y est très efficace et l'on a longtemps l'impression dans le livre que l'on nous parle d'un monde totalement fictif tant il est spécial et parfois, il est vrai, un peu confus.
L'histoire se déroule dans les années soixante alors que chez nous la Guerre Froide est déjà bien instaurée et la Crise de Cuba imminente. Voyons bien comment se déroule les événements de leur côté sans trop spoiler évidemment car le livre recèle de surprises.
Tout au long de l'histoire, nous suivons différents personnages dont les liens, nous semblent au premier abord, flous. Cependant, au fil du récit, les connexions s'opèrent et s'articulent toutes entre elles. Ce qui est principalement intéressant dans Le Maître du Haut Château c'est qu'à première vue ce n'est pas très intéressant, si bien que l'on peut décrocher assez facilement. On se surprend pourtant à lever un sourcil de curiosité en découvrant cette société Nippone des Etats Pacifiques, fanatique des objets de l'ancienne Amérique, et adepte d'un livre, le Yi King, qui prédit l'avenir. Et influence sociétale d'après guerre oblige, le Yi King se déverse dans la culture des ''natifs'' comme élément structural, spirituel et organisateur de tous les choix de chaque individu. Par ailleurs, les personnages sont assez banales : entre le juif qui se lance dans la fabrique de bijoux ou encore l'homme d'affaire japonais, on se demande vraiment où veut en venir l'histoire. On la suit néanmoins avec attention, présageant un intérêt futur car, bon, K. Dick ce n'est pas n'importe qui. Et ce n'est que lorsque ''le poids de la sauterelle'' (le fameux livre dans le livre) est mis en avant que le scénario peut enfin décoller. La sauce semble alors monter de plus en plus, nous laissant toujours un parfum d'incertitude. Avant la première moitié du livre, on est bien incapable de dire comment finira l'histoire. C'est alors que nous trouvons avec plaisir, soulagement et même stupeur que ces personnages, d'apparence si quelconques, ne le sont peut être pas tant que cela. D'un coup d'un seul, la tension monte de six crans, si bien qu'il en est difficile de lâcher le bouquin (mais je ne dirai pas pourquoi, ce serait dommage). De plus, je trouve la fin vraiment contemplative (ce qui est surprenant pour un livre) et philosophique à souhait. On en ressort en pensant avoir tout compris sans pour autant en être certain...
Par ailleurs, je vous recommande l'édition ''J'ai lu'' pour la simple et bonne raison qu'elle glisse après la fin les deux premiers chapitres d'une suite inachevée par l'auteur. K. Dick explique en préambule qu'il trouvait très difficile de se plonger corps et âme dans l'histoire nazie et aurait préféré ne pas continuer. Au final, c'est plutôt dommage car la suite ne manquait pas d'ambition.
En bref, Le Maître du Haut Château est un livre que je conseille à tout amateur de science fiction, de Philip K. Dick ou simplement d'histoire intelligente. L'histoire connait parfois des longueurs et si l'on n'accroche pas à l'un des personnages, certaines parties vous sembleront interminables, mais la réflexion est juste. Au final, on nous parle peut-être d'un "autre monde" mais c'est seulement pour permettre de faire ressortir le nôtre, de le mettre en valeur ou de le critiquer.