Ne sachant pas comment démarrer cette critique, j'ai décidé de le faire abruptement : les cent premières pages, je les ai trouvées un peu chiantes, à la fois hermétiques et décevantes après les montagnes de louange entendues ici ou là à propos de ce livre. Habiles, parfois élégantes, mais sans la saveur du roman qui t'agrippe par le col et t'oblige à tourner les pages jusqu'à ce que tu t'effondres, hypnotisé, dans un sommeil dont te tireras ce batard d'enfant qui hurle tous les matins sa haine du soleil ou sa faim de Chocapic, qu'en sais-je.
(dans mon cas, il s'agit de l'enfant des voisins, mais on s'en fout, n'est-ce pas ?)
Les premières pages sont chiantes, donc. Il faut s'accrocher. Mais c'est comme patienter deux heures pour voir un éléphant dans la forêt thaïlandaise : tu ne regrettes l'attente que tant qu'elle n'est pas fructueuse. Quand le livre démarre, mes amis, mes aïeux, c'est pour ne plus jamais ralentir. La terrible sarabande des infernaux (je suis lourd sur le champ lexical diabolique, hein ?) Behemot, Azazello, Koroviev et Woland vous embarque pour ne plus vous lâcher, vous baladant de Moscou à Jérusalem, d'un bal infernal aux sordides combines de la Russie stalinienne, des pédants idiots aux poètes véritables.
Et derrière ces histoires de Diable et d'amants maltraités, c'est une oeuvre à tiroirs que nous offre l'auteur : comme chez Dostoievski, le narrateur se distingue de son propos, désoriente le lecteur qui oscille perpétuellement entre la dérision et l'immersion, entre la distance et le premier degre.
Mieux, l'oeuvre s'enrichit d'une perpétuelle double-lecture entre les évènements décrits et l'histoire personnelle de l'auteur, maltraité par la censure soviétique, honteux de se livrer pour manger à la littérature "officielle", torturé par une lâcheté qu'il honnit et qu'il dénonce en fil rouge de l'oeuvre chez tous les personnages qu'il tresse comme autant de fins bracelets brésiliens (bon, j'avais pas d'autre idée de truc tressé).
(à ce titre, je recommande à tout le monde de NE PAS LIRE les notes de bas de page, mais de les dévorer immédiatement le bouquin terminé pour comprendre cette mise en abyme de l'auteur et de ses personnages)
Je suis maladroit dans la dithyrambe, aussi serai-je péremptoire : toi, jeune d'ici ou d'ailleurs qui te morfond dans l'Amélie Nothomb ou le France Football, lis ce livre, et tu seras enfin sataniste pour de bonnes raisons.