On ne sait pas vraiment si on peut qualifier cette pièce de Molière de comédie. En fait c'est la tragédie (pas au sens strict de la définition littéraire du terme !) d'un homme qui est incapable de faire volontairement la plus petite compromission face aux hypocrisies, plus ou moins grandes, face aux médiocrités, plus ou moins grandes là aussi, face aux mensonges, pareil, de ses contemporains.
Il n'est pas interdit de penser qu'à travers Alceste, auquel l'auteur a donné beaucoup de lui-même, Molière a créé son personnage le plus vrai. Lorsqu'on le voit amoureux lucide d'une coquette qui se plait à tromper son monde, lorsqu'on le voit demander à cette même coquette de dire qu'elle n'est pas là alors que des prétendants se présentent, poussant par réflexe et sans réfléchir à un mensonge, lorsqu'on le voit prêt à essayer de fermer les yeux sur la duplicité de sa belle, on se dit que l'auteur du Bourgeois Gentilhomme a atteint le sommet de son art. On s'attache, on se moque mais, en même temps, on est admiratif, malgré, ou plutôt surtout grâce à, ses défauts, de cet homme d'honneur comme il se qualifie lui-même.
La fin, qui ne manque pas de cruauté tout en laissant, in-extremis, sur une ouverture en forme de petite touche d'espoir, est aussi marquante que magistrale.
Quand un artiste ne revêt pas sa fausse moustache habituelle, c'est qu'il se met à nu, c'est qu'il est au zénith. Enfin du moins, cela a été le cas pour Molière.