Je n’aime pas toujours lire Molière : les ficelle de ses comédies, efficaces au théâtre, sont parfois un peu trop grosses à la lecture. Qu’allait donc m’apporter une deuxième lecture, 23 ans après une première lecture au lycée dont je me souvenais assez bien et qui m’avait plu sans pour autant me passionner ?
Ce fut un éblouissement. Molière déploie une langue magnifique, ciselée, en même temps qu’il dénonce les dangers d’un tel raffinement. La scène des portraits n’est pas seulement l’illustration de la médisance dans la bonne société : c’est la démonstration de la façon dont y conduit le goût du trait spirituel et du beau langage.
J’ai aimé aussi la complexité des personnages, qui pour la plupart ne se laissent pas résumer à de simples types. Même Arsinoé, qui cache mal son dépit amoureux, est assez touchante. Quant aux personnages principaux, derrière l’inflexible partisan de l’entière sincérité qu’est Alceste se cache un amant tyrannique, à l’amour-propre démesuré (« Je veux qu’on me distingue ») ; Célimène est plus qu’une coquette, sa liberté est assez admirable, et elle ne manque pas de dignité dans l’isolement cruel qui est le sien. L’on sent d’ailleurs que sa punition n’a rien à voir avec la justice – parallèlement, Alceste perd d’ailleurs son procès – mais c’est plutôt la façon dont la société se donne une bonne conscience en faisant d’elle un bouc-émissaire car sa conduite a révélé l’hypocrisie du jeu social.
Au final, un Misanthrope sans illusion sur la comédie humaine mais plein d’humanité.
[J’ai lu la pièce dans l’édition de Jacques Chupeau dans la collection Folio théâtre. J’ai beaucoup aimé sa préface, éclairante et bien écrite.]