Selon l’apologue « Guide du Routard » le Pavillon d’Or serait un célèbre temple bouddhiste situé au nord de Kyoto inscrit au Patrimoine de l'Unesco et connu pour ses magnifiques façades recouvertes à la feuille d'or.


Selon Mishima le Pavillon d’Or serait l’anti de tout ce qui nous plombe, de tous nos complexes enracinés dans des défauts réels ou le plus souvent fantasmés : micro infirmité, médiocrités physiques ou intellectuelles, timidité, mains moites, fragilités mentales, laideur, tâches de naissance, bégaiement, surpoids, maigreur, difficultés relationnelles, blancheur, noirceur, taille..


Le Pavillon d’or est au Levant, au seuil d’un monde pur, réglé, modal et dénué de toute laideur physique et morale : c’est l’Anti ; nos complexes, nos laideurs, eux, demeurent au Couchant, au Cosmos, et Mishima de nous entraîner du Couchant au Levant.


C’est du moins le voyage mental entrepris par le jeune personnage, Mizoguchi, devenu bonze novice au Pavillon d’or. D’abord indifférent à l’Anti, Mizoguchi finit par y succomber, jusqu’à l’oppression et l’hallucination.


Aparté : Mishima n’est pas dithyrambique dans la description du Pavillon d’or, il se contente subtilement d’indiquer qu’il est considéré comme beau (au sens de la rigueur esthétique de son architecture, des jardins, et de la rigueur morale des enseignements dispensés), tout comme Mizoguchi est considéré comme laid (par lui-même et par ses camarades) : à aucun moment Mishima n'indique formellement que le Pavillon d’or EST beau et que Mizoguchi EST laid. Mishima jette un voile d’arbitraire sur son histoire sans jamais ni l’analyser ni le condamner : Le Pavillon d’Or n’est pas une œuvre morale. Et c’est bon.


Mais revenons à nos moutons : Mizoguchi, laid, bègue, peu dégourdi, novice, pense trouver avec le Pavillon un moyen de nettoyer ses tâches intimes, de laver ses souillures profondes, bref il en deviendra un jour le patron ou rien. Bien sûr avec cette démarche éminemment barbare puisque réalisée pour des mauvaises raisons, il finira écrasé par la beauté modale du Pavillon et cherchera à le détruire. Brûle ce que tu adores mais tu verras que la brûlure est encore insuffisante.


Avec talent et patience Mishima, dans ce roman finalement assez pascalien, indique que la nature humaine est indépassable et que nos petites manipulations consistant à démontrer le contraire sont vouées à l’échec : tous, absolument tous les personnages du roman, et il y en a quelques-uns, de l’éminent notable à la plus petite prostituée, sont rattrapés par leurs personnalités profondes ; ne nous leurrons pas, nulle part existe le Pavillon d’Or, l’Anti est un mythe, nous naissons misérables et nous le resterons, et notre grandeur réside uniquement dans le fait d’en avoir conscience (mais cette prise de conscience est ardue, Mizoguchi le démontre).


Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce Mishima, sur la société nippone avant, pendant et juste après la seconde guerre mondiale, sur la sensibilité de l’auteur et ses déchirements continuels entre apollonien et dionysiaque figurés dans le personnage d’un Mizoguchi jusqu’au bout écartelé entre ces deux esthétismes.


Et puis il y a cette tension dans la plume de Mishima, en témoigne la cérémonie du thé entre un officier de l’armée impériale à la veille de son départ pour le front et son épouse :


Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l'envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l'une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu'elle se mettait à la pétrir. L'officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d'un noir profond.
Sans prétendre l'avoir, à la lettre, vu, j'eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l'écume verdâtre emplissait la tasse sombre - s'y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites taches -, de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse.

-Valmont-
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le 29 avr. 2018

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