Like the painting of a sorrow, A face without a heart
Je me permet de reprendre ces vers d'Hamlet, que Dorian Gray utilisait à un moment pour se définir. Et puis, je trouve que débuter un avis (le terme "critique" étant trop académique pour ce que je vais écrire) sur un livre par une citation de Shakespeare ça donne mieux.
Je ne sais pas exactement par où commencer, mis à part pour dire que c'est un livre de génie. Voilà, vous avez été prévenus. Après, il ne faut pas non plus se dire que ce bouquin changera entièrement votre vie, en particulier le personnage d'Henry Wotton et ses aphorismes (puisque c'est le mot que tout le monde utilise pour définir son discours, employons-le) vénéneux. Ne suis-je pas aussi tombé naïvement sous le charme de ses phrases ? C'est vrai que dans ma modeste bibliothèque je n'ai pas encore rencontré un personnage aussi fascinant, et on pourra s'étendre sur une analyse minutieuse de chacune de ses propositions.
Aussi pourrais-je décrire Basil en exposant les difficultés et enjeux de la vie d'un artiste, ou encore l'aristocratie anglaise du XIXème siècle, prétentieuse mais caractéristiquement auto méprisante. Mais Dorian Gray reste quand même le coeur de l'histoire, alors rendons à César ce qui lui appartient (je déteste utiliser des expressions surexploitées, mais enfin...).
Je pense que Dorian Gray c'est un peu de nous tous. Qui n'a jamais proféré ce même discours qu'il a prononcé en voyant son portrait pour la première fois, enflâmé par les paroles empoisonnées de Henry, languissant vers une vie étérnellement belle et jeune, pourtant si vicieuse et atroce ? Est-ce que je ne veux pas moi non plus goûter pleinement à cette vie perverse, violente et libertine, croquer un peu la pomme corrompue du serpent ?
En aucun moment Dorian Gray n'est à blâmer; exaspérant il l'est, certainement, l'épisode avec Sybil Vane me rendant fou, mais le condamner serait nier une certaine partie de ma propre personne (je n'aspire pas à être un aristocrate du XIXème siècle frustré par sa beauté, détrompez-vous !).
Toute la beauté de cet ouvrage tient en ce qu'Oscar Wilde a réussi à peindre les traits les plus vils d'une personne de la manière la plus romantique et artistique qui soit, à travers un tableau, miroir d'un corps aussi beau et resplendissant à l'extérieur qu'infâme et abjecte à l'intérieur. Magnifique.