Le nouvel ouvrage d'Emmanuel Carrère (L'Adversaire, D'autres vies que la mienne, Limonov, etc., mais aussi Les Revenants) nous met face à un problème assez complexe : Qu'a donc voulu faire Carrère en écrivant “Le royaume” ?
Raconter le premier siècle chrétien, d'accord.
Comment le raconte-t-il ? Par un roman historique comportant des éléments autobiographiques ?
En ouvrant et découvrant l'ouvrage, le ‘prologue’ m'a tout d'abord fait penser aux préfaces d'Aragon (‘Un roman commence sous vos yeux’, etc.), qui comportaient un aspect autobiographique et permettaient de mieux cerner le roman, tant dans ses aspects historiques qu'intimes.
Cependant, ici, le 'roman' que l'on attend ne commence jamais.
Je m'explique.
On ne trouve aucune espèce d'envie de “faire œuvre d'art” (Gide) dans ce livre.
Carrère prenant à contrepied Baudelaire qui se plaint du style “coulant” (voir url jointe à la critique) explique sa volonté de faire des phrases qui s'enchaînent avec fluidité. Soit, on en demande autant à des élèves de Terminale, à la rigueur.
Le sujet, cependant, l'oblige non à un roman mais à “romancer”, c'est-à-dire à combler ses incertitudes par l'imagination, et en essayant, c'est ce qu'il déclare, de retenir la possibilité la plus probable. Mais, en ce cas, c'est la tâche de pratiquement tous les historiens et non particulièrement du romancier… et, d'ailleurs, c'est plutôt ainsi qu'il se définit au sein même du livre, noyé dans de nombreuses marques d'admiration pour Paul Veyne (dont le nombre est sans doute inférieur à celles dont Philip K. Dick fait l'objet, ceci dit).
Mais sitôt l'hypothèse adoptée nous devons l'abandonner. Ce n'est en effet pas non plus un livre d'Histoire à proprement parler.
À la seule vue des digressions auto-bio-(parfois porno… mais attention, Carrère est un type bien, il regarde du porno… mais du porno amateur, des filles ni trop belles ni trop laides, pas épilées, qui aiment ça, pas du hardcore de sauvage, hein…)-graphiques qui abondent.
Pour toutes ces raisons, Le royaume m'apparaît davantage comme un documentaire historique.
Et je vous prie de ne pas croire que je mets de connotation négative à cette catégorisation.
Ce livre qui promettait une relève romanesque se révèle tout simplement distrayant et informatif.
Dans sa nudité littéraire, l'ouvrage se lit plaisamment (on vient sans mal à bout des 630 pages).
La plupart des lecteurs sortiront avec un peu plus que ce qu'ils avaient en entrant, et c'est sans doute déjà une bonne chose…
Mais à trop simplifier on risque de paraître prendre le lecteur pour un idiot… Par ailleurs, à quoi bon, par exemple, préciser à DEUX reprises que Télémaque est le fils d'Ulysse ? Il aurait semblé incongru, me semble-t-il, il n'y a de cela qu'à peine quelques décennies d'en faire seulement mention une fois… On a l'impression de ces précisions débilitantes qui émaillent les journaux telles “L'ÉCRIVAIN Victor Hugo”, “LE PEINTRE Henri Matisse”…
E. Carrère est peut-être doué (s'il le dit et redit, c'est peut-être vrai…), son ouvrage est, finalement, assez médiocre.
Concrètement, et brièvement, si vous n'êtes pas intéressé par le sujet ni par E. Carrère, passez votre chemin : ceci n'est pas un objet littéraire.
noar
EDIT : L'ouvrage n'a pas été retenu par l'académie Goncourt.
EDIT 2 (Mercredi 10 septembre 2014) : Emmanuel Carrère obtient le prix littéraire “Le Monde” pour “Le Royaume”.
Au cours de son entretien avec J. Birnbaum, Carrère désigne son ouvrage comme “une enquête sur l'enquête” de Luc.