Je pense que ce n'est pas pour moi, tout ça. Certes, c'est un livre ambitieux, à l'écriture tenue (enfin moi ça me laisse un peu froid comme écriture, à force d'être si tenue), mais alors quand on se lance dans ce genre de projet, on a intérêt à avoir du souffle. Partant de l'idée (soulignée jusqu'à l’écœurement) qu'il est difficile aux hommes de savoir se comporter face au renouvellement des Mondes (qu'ils soient d'ordre intime ou historique), l'auteur s’emberlificote dans une méditation terriblement dénuée d'humour (aïe, gros mot !) sur la pesanteur de vivre notre époque épuisée, méditation un peu vaine (forcément, puisqu'on est du côté de la constatation, pas de la contestation) piquée on se sait pourquoi dans le quotidien blafard d'un bar rural de l'arrière pays corse (ses sangliers, ses paysans, son pastis… hum). Avec le même point de départ, Enard nous entraînait dans sa "Zone", au milieu des ruines morales et architecturales d'une Europe en lambeaux, sans se soucier des petits bobos de héros forcément trop petits pour porter sur leurs épaules tout le poids du siècle pourrissant. Mais là !
Que c'est plat, que c'est exsangue, comme tout est attendu d'avance ! Tout ça pour ça ?


Je crois beaucoup aux données spatiales et temporelles en littérature romanesque. L’Angleterre du XIXe siècle naissant, la France du milieu du XIXe, la Russie du siècle finissant, le Japon du début XXe, l'Allemagne ou l'Autriche entre les deux guerres, les États-Unis des années 1950-70 ...des circonstances qui malaxent le cœur des hommes et donnent le ton. J'ai bien peur que la France du début XXIe ne soit pas un ciel très clément pour écrire : pour un Chevillard, un Michon ou un Echenoz, combien de Mauvigner, de Houellebecq, de Ferrari ?


Pourquoi ce ton languissant, cette résignation sans poésie, sans fantaisie, sans arrière-monde ? On peut être triste sans être atone, tragique sans être desséché, se coltiner tout le malheur du monde sans en être pour autant déprimé et déprimant. Se laisser gagner par le mal qu'on essaye de scruter est pour moi la pire des défaites. Décidément non, ce genre de livre ne (me) sert à rien.

Chaiev
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