Ce n'est pas l'histoire de deux amis qui tiennent un bar...
Chaque critique ou presque du Sermon sur la chute de Rome commencent en effet sur cette variation. Mais si Libero et Matthieu ouvrent bien un bar dans un village perdu de corse, c’est surtout un monde en miniature qu’ils font surgir du néant. Un monde dont l’échelle permet d’observer en 200 pages la naissance, l’expansion et l’apogée. Puis brutalement le déclin et la chute. Hors ce monde sert de contrepoint au nôtre, ou peut-être aux nôtres, que matérialisent les destinées de Marcel, le grand père de Matthieu, qui a douloureusement vécu les dernières heures de l’empire colonial Français ; d’Aurélie, sa sœur ainée, qui refuse d’accepter la fatalité de notre quotidien tout en en étant la première victime ; ou celles, minuscules, de tous les personnages secondaires (Pierre-Emmanuel Colonna, Virginie Susini, Agnès, Rym, Izaskun…) qui se débattent pour surnager dans la boue sous laquelle les ensevelit notre société contemporaine.
Bien qu’elles ne suffisent pas à rendre la « complexité » des destins entremêlés, les lignes ci-dessus sont je pense, assez claires : le Sermon… n’est porteur d’aucun espoir. Tout ce qui a été créé est voué à être un jour détruit. Si beau, si fort, si solide qu’il ait été ou paru. Mais absence d’espoir ne veut pas dire pessimisme. Car la fin d’une chose permet le début d’une autre. Ou peut-être même l’induit, ainsi que le veut la phrase finale du roman, une de ces phrases définitives dont la musique autant que le sens continuent de vibrer longtemps après leur lecture « […] pour porter devant lui témoignage de la fin, en même temps que des origines, car c’est un seul et même témoignage. »
Et l’on comprend ainsi le titre de l’ouvrage, référence au sermon éponyme de Saint-Augustin dont les aphorismes ponctuent le roman, dans le prolongement du sermon 81 qui ouvre le roman et aurait aussi bien pu servir de prière d’insérer en quatrième de couverture. Contribuant à faire émaner du texte une impression de tristesse apaisée, qui confine parfois à la sagesse. Soit un ressenti très à contre-courant de ce que cherchent à susciter la plupart des productions contemporaines, clinquantes et artificielles, qui souvent impressionnent mais jamais ne parviennent à toucher leur lecteur dans la profondeur de son être.