Critique écrite dans le cadre d'un devoir d'analyse filmique
Introuvable et hors de prix sur l’ensemble des plateformes marchandes, Le Temps scellé, ouvrage philosophique d’Andreï Tarkovski originellement publié l’année de décès de son auteur, vient d’être réédité. Riche d’une préface et de divers compléments, retour sur cet ouvrage fondateur est le témoignage du large panel de la personnalité d’un passionné.
Une invitation au dialogue
Le ciné comme une cachette ? C’est de la sorte qu’Andreï Tarkovski (que plus nul n’a besoin de présenter à la communauté cinéphile) semble appréhender le travail acharné dont il s’est livré au cours de trente ans de carrière. Perpétuellement en quête de son essence, niant perpétuellement l’éventualité d’une idée de l’objectivité de la part de l’artiste (« S’il est possible en science de prouver logiquement à ses contradicteurs que l’on a raison, en art cela est exclue » affirme le cinéaste soviétique en pleine « nostalgie de l’idéal »), Le Temps scellé transcende les corps, les époques et ses dogmes. Il nous confie l'importance prépondérante de la réalité cinématographique, mais surtout d'un idéal artistique persuadant l’audience à voir les choses telles quelles et de s’ouvrir à une spiritualité nécessaire (tout en s’abstenant d’épargner au mieux le sujet de la religion pourtant si cher au cinéaste).
Comme par exemple, la chance pour une œuvre d’avoir plu à quelqu’un
dont les goûts ont du poids auprès du public
À l’heure où les médias numériques battent de plein fouet les médias manuscrits, que les générations de communautés cinéphiles évoluent vers de nouveaux horizons, nos goûts s’orientent ainsi vers un certain public plutôt que sur le film en lui-même. Tout en établissant le dialogue entre spectateurs (dont l’unique vecteur commun serait alors la consommation du film comme bien), il donne lieu à des interprétations et degrés d’appréciation confondus au cours des séances et débats divers qui nous sont aujourd’hui si familiers.
Des histoires à l’état brut : vocation première du cinéma ?
Il sera aussi question de la distinction entre le film commercial et le film d'art, donc entre l’œuvre formatée et l’œuvre de rigueur et éloquent d’un goût réel pour le septième art. Il n’est effectivement pas question pour le réalisateur de Stalker et Solaris de consacrer temps, argent et intérêt pour le premier, comme en témoigne chacun de ses films, où la situation initiale est très édulcorée, les péripéties quasi-absentes et le dénouement donne à chaque fois lieu à une interprétation différente. Un seul événement peut donner lieu à plusieurs histoires différentes et c’est à l’artiste de choisir celle qui sera mise en avant. Tout en jetant un œil hagard aux productions raffinées, invitant au débat, appelant au bon goût esthétique et idéologique, le cinéaste n’hésite pas à vivement railler ses camarades du septième art reconvertis dans le cinéma commercial pour « arrondir leurs fins de mois », trahissant toute fidélité à leur idée de départ :
Ce film était déjà vieux avant de naître !
Et pour la même occasion, leur statut d’artiste. S’ensuit alors une vive critique des genres, susceptibles de cantonner un film à des enjeux et à une esthétique prévisibles par tous. Heureusement tenu à l’écart de tout élitisme décourageant, Tarkovski ne considère pas pour autant que l'art est réservé à un seul type de public ; il rappelle que c’est surtout une question de longueur d’onde entre le concepteur et le consommateur, puisque l’œuvre d’art ne sera pas accessible à tout public, tout en pouvant l’être («
Dans tous mes films, j’ai cru important d’essayer d’établir les liens
qui unissaient les gens entre eux - en dehors de ceux de la chair !
Ces liens qui me rattachent en particulier à l’humanité,
et nous tous à tout ce qui nous entoure
Ce qu’il fallait ainsi démontrer, c’est que l’art peut être accessible à tout le monde mais ne plaira pas nécessairement, par question biologique, esthétique ou idéologique.
Une remise en question du mode de vie du consommateur
Tarkovski conclue ce passionnant essai en invitant les spectateurs au discours critique de leur propre existence. Celui dont l’écrit a nécessité plus de vingt ans de rédaction, établit la souffrance comme étape à part entière de la vie, soulevée par « l’insatisfaction, du conflit entre l’idéal auquel nous aspirons et le niveau où nous nous trouvons ». Artiste ou non, chacun à sa façon conçoit son existence comme le film de sa vie qui saura être à la portée de tout le monde.