Mariage et cocuage, clés de l'humanisme ?

Panurge, soucieux d'échapper au service militaire, songe à se marier; mais, ce faisant, il risque d'être cocu. Cela en vaut-il la peine ? Sous cette trame farcesque, Rabelais introduit la "substantificque moelle" dans le "Tiers Livre". Au travers de la quête de Panurge, qui consulte de nombreuses personnes pour prendre conseil au sujet de son dilemme, c'est le portrait d'une société qui nous est présenté, avec la mise en évidence de ses ridicules et de ses absurdités: pesanteur livresque des juristes (le juge Bridoye et la "Court Centumvirale"), mise en évidence de la subjectivité des décisions juridiques; éloge de la simplicité de la vie rurale; critiques contre les moines paillards, contre les femmes légères.

Rabelais pose les questions relatives au pouvoir de prédire l'avenir prêté à certains religieux. Il se livre à une plaisante apologie de l'endettement, qu'il présente comme une manière de mettre du liant dans les relations humaines, au point de pouvoir fonder une société idéale humaniste. Dans cette même optique, le développement sur le Pantagruélion met en valeur les capacités humaines à modifier la nature.

Malgré les développements farcesques, la leçon que tire Rabelais de ces aventures est de respecter la mesure et l'harmonie.

Ce Tiers Livre, d'apparence nettement plus sérieuse que les précédents, recourt pourtant à toutes sortes de procédés comiques: kyrielle de mots bizarres, petits vers comiques, inventaires parodiques, jeux de mots, plaisanteries paillardes. Le délire enthousiaste pour l'accumulation verbale transparaît dans les chapitres XXVI et XXVIII , où se trouvent les listes célèbres des adjectifs associés au mot "couillon".

Le récit apparaît comme fragmenté et composite, sans cesse orné de détours comiques ou extravagants.

Toutefois, la confiance humaniste de Rabelais ne l'empêche pas de douter que l'accès à la vérité soit aisé. Ne s'engage-t-il pas, en un passage, à faire l'éloge de la folie comme moyen tout aussi efficace de s'adapter au Monde ? En cela il rejoint Erasme.

Croire en l'homme, certes. Mais cette émancipation de la pensée par rapport à l'époque médiévale ouvre un champ immense: celui des limites de l'homme dans ses relations avec son milieu, et, parfois, la nécessité de limiter ses ambitions personnelles pour maintenir l'harmonie de ces relations.

Ce n'est pas à notre époque, bouleversée par la prise de conscience écologique, que l'on contestera la justesse de cette approche. Elle peut même nous inviter à nous demander si la vocation prédatrice de notre civilisation n'a pas été plus ou moins encouragée par la confiance humaniste envers la capacité de l'homme à dominer la nature.

Lire "Le Tiers Livre", c'est aussi remettre en cause les logiques qui ont guidé les comportements des Occidentaux pendant cinq cents ans. Sans perdre la force d'en rire.