A ceux que la noirceur redneck sans retour de No Country for Old Men, des frères Coen, n’avait pas rassasié, Alex Taylor adresse ce court et magistral polar gothique qui concentre, en peu de pages, toute la terreur, tout le suspense et toute la violence sèche d’une chasse à l’homme sans merci au cœur d'une Amérique rurale contemporaine. Dans un style extrêmement concis et percutant, Le Verger de marbre dépeint la fuite en avant de Beam, jeune chauffeur de ferry sur la Gasping River recherché par le chef de la pègre locale dont il a accidentellement tué le fils. De course en course, de rencontre en rencontre, de coup de machette en semonce de fusil à pompe, Taylor impose un sens du rythme et de la formule qui font de ce livre un pur page turner autant qu’un véritable morceau de littérature.


Dans ses descriptions arides mais chargées de magie d’un Kentucky paysan peuplé de fous et de psychopathes, de petites gens au phrasé à la fois vulgaire et plein de sagesse, le Verger offre à entendre, sentir et toucher un univers à la fois vivant, mourant et singulier. Qu’il s’agisse de décrire un bar sordide, des sous-bois menaçants ou des bicoques en ruine, l’auteur n’a pas son pareil pour déployer des atmosphères palpables et envoûtantes. Pourtant, l’élégance de la moindre scène, toujours choisie par des mots ou des licences poétiques d’un goût sûr et sans emphase, n’est rien en comparaison de l’extraordinaire précision qui drape l'écriture des personnages ; lesquels, tout en appartenant donc à des archétypes chers au cinéma des frères Coen ou même du William Friedkin moderne (Bug et Killer Joe seront souvent évoqués au lecteur français), stupéfient par la force avec laquelle ils sont campés.


Autour de la figure centrale de Beam, martyr en fuite rongé par la culpabilité, gravitent des caractères puissants et proprement esquissés, souvent lâches, méchants et ployant sous le poids de l’âge ou de la maladie. De ce ballet de mort où dansent des antihéros au crépuscule de leur vie, Alex Taylor tire des dialogues d’une acuité magistrale, soutenus dans notre langue par la traduction parfaite d’Anatole Pons qui semble parvenir à capter jusqu’aux accents, aux intonations de ces bêtes blessées considérant la vie avec chacun sa propre sagesse, son propre détachement. Derrière les actes et les mots les plus terribles, toujours écrits avec le plus grand aplomb, se cachent des êtres aux cœurs brisés et aux espoirs tus à jamais, qui prennent la vie comme elle vient du haut de leurs passés tortueux. La fluidité sidérante, et en même temps le coupant douloureux de chaque scène de violence (elles sont nombreuses) se marie en toute occasion à un parfum de tragédie quasi-biblique. Planent sur ce roman les ombres de la mort, de la destinée incontrôlée, des souffrances, des tentations et de la perte de soi, qui tourbillonnent en une belle et vénéneuse incantation. On s’y perd avec délices, et on atteint (très) vite la fin du voyage, comme s’il venait à peine de commencer : le signe que pas un mot n’était de trop.


"La journée poissait de chaleur. Des guêpes voltigaient et vrombissaient à côté des boîtes de saucisse vides. La lumière du soleil bourdonnait. Dans le cimetière, les sauterelles et les libellules papillonnaient. Les merles s'éparpillaient dans le ciel telle une poignée de terre lancée en l'air. Pete et Beam étaient en sueur, assis à côté du feu qui s'était éteint dans la nuit, une fine volute de fumée s'élevant avec indolence du bois brûlé. [...]
— Faut que je me remette en route, déclara Beam.
— Pour aller où ? demanda Pete.
— Je sais pas. (Beam haussa légèrement les épaules.) Il faut juste que j'y aille.
Pete gloussa et secoua la tête.
— T'as pas un rond et y a un bon paquet de gens ici qui te veulent du mal et tu comptes partir ?
Beam se leva de la bâche, étira son dos et ses jambes et sentit le sang recommencer à circuler. Le joug des courbatures l'accablait, mais il savait que ça passerait en marchant.
— Tu ferais mieux de pas y aller, insista Pete.
Il pencha la tête en arrière et ferma les yeux face au soleil qui affluait entre les cèdres.
— J'ai quoi d'autre à faire ? Rester à traîner dans un cimetière pour qu'ils viennent m'arrêter ?"

boulingrin87
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le 28 avr. 2017

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Seb C.

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