L'histoire racontée par Le Vicomte pourfendu est totalement exubérante : c'est celle des aventures du vicomte Medard de Terralba, tranché en deux entités opposées selon une ligne passant par le nez et le nombril durant une bataille. Ou plutôt devrait-on dire les pérégrinations de ses deux moitiés, l'une mauvaise et l'autre bonne semant qui le malheur et qui l'espoir parmi les habitants de la province et s'affrontant comme il se doit de représentants de ces tendances antithétiques.
Pourtant, si l'on n'est pas totalement allergique à l'invraisemblance, cette idée originale et simple donne immédiatement au récit un air de conte philosophique qui incite à lire entre les lignes les nombreuses réflexions et morales que Calvino y insuffle. A commencer par une formidable critique du manichéisme, figuré par ces deux demi-vicomtes sans nuances et donc forcément dans l'erreur. Mais on appréciera aussi la dimension de roman d'apprentissage pour ce jeune narrateur aux portes de l'âge adulte, ou encore les petites piques à destination des faux-dévots, des extrémités auxquelles peut amener l'exclusion...
Tout ceci dans un style léger et plein d'une ironie bien sentie, qui s'étend des noms de lieux et de personnages (Préchampignon, Pierreclou) aux détails incongrus mais succulents (les doigts coupés qui indiquent le chemin sur le champ de bataille, la chèvre et la cane de Pamela qui la suivent jusqu'à l'église, le facéties du Dr Trelauwney). La lecture en est rendue d'autant plus facile et agréable, avec la possibilité de naviguer à sa guise entre les différents niveaux de lecture dont aucun n'est à dénigrer.